* : Ces statistiques ne prennent pas en compte les ministres d’Etat et les ministres délégués

Le gouvernement de Ousmane Sonko, mis en place le 5 avril 2024, suscite beaucoup de réactions chez les activistes et féministes qui luttent pour une plus grande place de la femme sénégalaise dans les instances de décision. Ils dénoncent les inégalités du premier gouvernement de Bassirou Diomaye Diakhar Faye et le « féminicide en marche ».

Trois jours après la nomination de Ousmane Sonko à la tête du premier gouvernement du premier quinquennat de Bassirou Diomaye Diakhar Faye, quatre femmes ont été nommées parmi les 25 ministres chargés d’élaborer des programmes de développement et de dérouler le fameux projet de rupture du Parti les Patriotes Africains du Sénégal pour le Treavail, l’Ethique et la Fraternité et sa coalition. Cette faible présence de femme a été condamnée par plusieurs acteurs de défenses des droits des femmes. Les féministes ont été surprises et déçues par les autorités qui ont durant des années prôné la rupture et l’égalité de tous les citoyens.

Activiste et féministe, Jaly Badiane a soutenu sur la Radio France Internationale que ces nominations ne répondent pas aux attentes des femmes qui espéraient avoir un changement au sein du gouvernement. « Avec ce nouveau régime qui appelle à la rupture, nous espérions un changement au sein du gouvernement et surtout une meilleure représentativité des femmes dans les postes de prise de décision. Il est mis sur la table le justificatif de la compétence. Nous sommes en train de démontrer que les femmes compétentes, il y en a au Sénégal », a-t-elle affirmé.

Depuis la première alternance démocratique, le Sénégal n’a ménagé aucun effort pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes dans les instances de décision. Avec le gouvernement de Niasse 2 formé le 3 avril l’an 2000 et dirigé par Moustapha Niasse, le premier avec la présidence de Maître Abdoulaye Wade composé de 25 ministres, les femmes n’avaient obtenu que trois portefeuilles ministériels. Il s’agit de Mame Madior Boye, Garde des seaux, Ministre de la justice, Khady Fall, Ministre de la décentralisation et de l’aménagement du territoire et de Haoua Dia Thiam, Ministre des relations avec les Assemblées. Le pourcentage de femmes ministres était alors de 12%.

Avec le deuxième mandat de Abdoulaye Wade, le gouvernement de Cheikh Hadjibou Soumaré, formé au lendemain de la victoire de Maître Wade en 2007, était composé de 17 ministres dont quatre femmes, soit 23,53% de femmes. Le premier ministre d’alors a voulu changé la donne en renforçant la place de la femme dans son gouvernement.

Le gouvernement de Abdoul Mbaye et premier de Macky Sall, 5 avril 2012, a enregistré une augmentation de deux ministres (24%) par rapport au premier gouvernement de Abdoulaye Wade. Avec le deuxième mandat de Macky (2019-2024), le premier ministre Mouhammed Boun Abdalah Dionne a maintenu la tendance haussière avec huit femmes ministres (25%). Le gouvernement Dionne 3 a été une exception car il est le seul qui a eu 25% de femmes ministres.

Formé le 5 avril dernier avec 25 ministres et cinq Secrétaires d’Etat, le gouvernement de Ousmane Sonko est composé de quatre femmes. Il s’agit de Yacine Fall, Ministre de l’intégration africaine et des affaires étrangères, Fatou Diouf, Ministre des pêches, des infrastructures maritimes et portuaires, Maimouna Dieye, Ministre de la famille et des solidarités et Khady Dieng Gaye, Ministre de la jeunesse, des sports et de la culture. C’est le gouvernement qui a depuis 2012 le plus faible pourcentage de femmes ministres.

Tableau 1 : répartition des ministres entre les femmes et les hommes pour les premiers gouvernements de Abdoulaye Wade, Macky Sall et Bassirou Diomaye Diakhar Faye

PrésidentAbdoulaye WadeMacky SallBassirou Diomaye Diakhar Faye
GouvernementMoustapha NiasseHadjibou SoumareAbdoul MbayeMouhamed B. A. DionneOusmane Sonko
Formation03-avr-0019-juin-0705-avr-1207-avr-1905-avr-24
Nombre de Ministres2517253225
Nombre de femmes34684
Pourcentage de femmes ministres1223,53242516
Source : rédaction

Graphique 1 : Pourcentage de femmes ministres dans les premiers gouvernements de 2000, 2007,
2012, 2019 et 2024

Source : rédaction de Weer Bi

De 2000 à 2012, Abdoulaye Wade a nommé six Premiers Ministres. Le nombre de ministres varie entre 17
et 31. Le pourcentage de femmes ministres est passé de 12% en 2000 à 26,09% en 2002 et a connu une
baisse pour atteindre 20% en 2009.

Tableau 2 : répartition des premiers ministres de Abdoulaye Wade

PrésidentAbdoulaye WADE
GouvernementNiasse 2BoyeSeck 1Seck 2Sall 1Sall 2SoumareNdiaye
Premier MinistreMoustapha NiasseMame M. BoyeIdrissa SeckMacky SallHadjibou SoumareSouleymane Ndéné Ndiaye
Formation03-avr-0004-mars-0106-nov-0223 aôut 0321-avr-0423-nov-0619-juin-0701-mai-09
Nombre de Ministres2527232730311720
Nombre de femmes34667444
% de femmes1214,8126,0922,2223,3312,9023,5320,00

Graphique 2 : Pourcentage de femmes dans les différents gouvernements de Abdoulaye Wade

Source : rédaction de Weer Bi

En 12 ans, Macky Sall a nommé dix gouvernements. Durant cette période, le pourcentage de
femmes ministres dépasse les 16% du premier gouvernement de Bassirou Diomaye Faye. Il a atteint son plus haut niveau (25%) avec Mouhamed Boun Abdallah Dionne en 2019 avec 8 femmes
sur 32 ministres.
Graphique 3 : Pourcentage de femmes dans les différents gouvernements de Macky Sall

Source : rédaction de Weer Bi

Les gouvernements Sall 3 et Sall 4 sont ceux qui n’ont pas de Premiers Ministres à cause de l’abolition du poste de PM.

Le gouvernement féminicide de Ousmane Sonko, le premier de la présidence de Bassirou Diomaye Faye, est marqué par la faible présence de femmes ministres.

Graphique 4 : Répartition de femmes et d’hommes dans le gouvernement de Sonko 

Source : rédaction de Weer Bi

Gouvernement de Ousmane Sonko : Le plus bas niveau depuis 2012

Le Gouvernement de Ousmane Sonko a enregistré le plus bas niveau depuis 2012 avec la présence des femmes ministres. C’est le pire gouvernement depuis dix ans au Sénégal en termes de présence de femmes ministres. Selon les observateurs, le parti Pastef et sa coalition qui vient de remporter l’élection présidentielle dès le premier tour avec 54,28% accorde une faible place aux femmes à cause de leur faible présence dans la formation politique. C’est pourquoi elles ont été mises à l’écart lors du choix des ministres pour la gestion des départements. Ils appellent les autorités à faire appel aux femmes technocrates qui sont dans les structures de recherche, la société civile et l’entreprenariat lors des prochaines nominations.

Graphique 5 : Pourcentage de femmes-ministres de 2012 à 2024

Source : rédaction de Weer Bi

Le réseau des féministes a, dans communiqué de presse du 6 avril dernier, dénoncé la faible présence de femmes dans le gouvernement de Ousmane Sonko. Il rappelle que l’approfondissement du processus démocratique passe par la participation effective et croissante de la moitié de la société. Selon le dernier recensement de la population et de l’habitat, RGPH5, le Sénégal compte 18 032 473 habitants dont 49,4% de femmes.

Le présent gouvernement a défini cinq priorités. Il s’agit des mesures qui visent à réduire le coût de la vie, à promouvoir l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes, d’instaurer la justice, la transparence, la protection des droits humains, la bonne gouvernance et la réédition des comptes, d’assurer la souveraineté économique et de consolider l’unité nationale, la cohésion sociale, le renforcement de la sécurité, de la paix et de la stabilité.

Par Oumar Ba (weerbijournal@gmail.com)

Directrice Exécutive de l’ONG PWA : « le parti PASTEF et sa coalition sont très masculins »

Pr Adjaratou Wakha AIDARA NDIAYE, Directrice Exécutive de l’Organisation non gouvernementale, Partners West Africa, a soutenu, dans un entretien accordé à la rédaction de Weer Bi, que le parti Pastef, au pouvoir depuis l’élection du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, et sa coalition sont très masculins et ont mis les femmes à l’écart.

Oumar Ba : Le Premier gouvernement du Premier Ministre Ousmane Sonko est composé de 25 ministres dont 4 femmes, quelle analyse faîtes-vous de la place des femmes dans son gouvernement ?

Pr Adjaratou Wakha Aidara : La place des femmes dans ce premier gouvernement est décriée, à juste raison, parce qu’avec l’ambition affichée des nouveaux dirigeants, on ne peut lutter contre l’injustice sociale et les inégalités sans tenir compte de la moitié de la population sénégalaise constituée par des femmes (environ 49,4% – dernières données de l’ANSD). Il me semble qu’inconsciemment, par souci de protection, les femmes ont été mises à l’écart.

Même s’il est vrai, de manière générale, que les femmes sont sous-représentées aussi bien comme électrices que dans les fonctions dirigeantes, au sein des assemblées élues, ou encore dans l’administration publique, même dans le secteur privé et dans le monde universitaire. Et ceci malgré que leurs compétences avérées, maintes fois démontrées, de femmes leaders et agents du changement, et surtout, en dépit du droit des femmes de participer, en toute égalité, à la gouvernance démocratique.

La participation politique, vous le savez, implique la prise des décisions et tout le monde doit participer à la prise des décisions, mais les femmes se heurtent aux obstacles suivants :

  1. Le cadre institutionnel qui est défavorable aux femmes ;
  2. Une culture de misogynie, d’harcèlement et de violence à l’égard des filles et des jeunes femmes ;
  3. Les pesanteurs culturelles, les femmes acceptent d’être dirigées plutôt par les hommes, ou parce que traditionnellement le leadership politique a surtout été assumé par les hommes et non/ou par très peu de femmes ;
  4. La pauvreté : les femmes ont moins de chance que les hommes d’avoir accès à une éducation, de la compléter ou de suivre une formation pouvant leur permettre d’être autonome ;
  5. La peur des critiques qui restreint les ambitions des femmes : la mauvaise perception, des femmes autonomes et/ou ambitieuses, par la société, qui empêchent les femmes de nouer des contacts et/ou de bénéficier des ressources nécessaires pour devenir des dirigeantes performantes ;
  6. Les normes sociales et les croyances discriminatoires, liées à l’âge et au sexe, du genre « Jiguene daye gate tank » ou « Jiguene daye ame kersa ».

Avec l’ancien président Macky Sall, la place des femmes ministres a atteint les 25 % avec Mouhammed Boun Abdalah Dionne. Qu’est ce qui explique la faible présence de femmes dans le gouvernement de Ousmane Sonko ?

J’en profite pour prier pour le repos de l’âme de feu l’ancien Premier Ministre Mouhammed Boun Abdalah Dionne. Celui qui a été le troisième premier ministre du président Macky SALL, ce qui explique qu’il ait pu tenir compte des erreurs et suggestions antérieures pour atteindre cette performance (25% de femmes). Il ne faut pas oublier qu’une contre-performance a été enregistrée par la suite. Les femmes ont toujours revendiqué la place qui leur ait due dans les institutions et elles continuent encore d’exiger leur droit à une représentativité équitable.

A mon humble avis, le parti PASTEF et sa coalition sont très masculins. D’ailleurs, peu de femmes sont mises au-devant de la scène alors que notre pays regorge de femmes cadres, très valeureuses et très compétentes.

D’autant que la femme sénégalaise est perçue comme étant plus éthique, juste et incarne mieux le contrat social que nous attendons pour le changement et la bonne gouvernance.

Je pense que Monsieur le premier ministre Ousmane SONKO et son Excellence M. le président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar FAYE, sont conscients des manquements et vont prendre en compte les suggestions légitimes des populations sénégalaises, dont celles des femmes dans la distribution des autres postes de responsabilités et dans les gouvernements à venir.  Ils pourraient également mieux responsabiliser les femmes dans les réformes qu’ils comptent mener surtout dans le cadre de la prévention et de la lutte contre la corruption, les violences et l’injustice sociale.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour renforcer la place des femmes dans les prochains gouvernements ?

Le Sénégal regorge de talentueuses et valeureuses femmes très pointues dans leur domaine. L’Etat doit puiser dans le vivier des autres couches de la société mais pas seulement dans l’entourage politique. Il faut tenir compte des acteurs comme les femmes universitaires, les femmes du secteur privé (formel et informel), celles membres des Organisations non gouvernementales et de la Société Civile (OSC), sans oublier nos compatriotes femmes de la diaspora.

Si certaines femmes arrivent ou sont arrivées à surmonter les obstacles discriminatoires, elles doivent être encouragées et soutenues. Les politiques doivent promouvoir et supporter les modèles positifs de femmes leaders pour :

  1. Accorder aux femmes plus de poids politique et de voix dans les Partis politiques ;
  2. Promouvoir la parité par la mise en place de programmes d’éducation et de sensibilisation à l’égalité des sexes et à l’équité sociale ;
  3. Appeler aussi bien les décideurs que les leaders des partis politiques à soutenir la culture de la discrimination positive ;
  4. Mettre en place des mesures de discrimination positive qui ont pour but de rétablir l’équité H/F ;
  5. Le changement des mentalités et des comportements concernant les normes sociales dégradantes, notamment la mauvaise perception des qualités relationnelles des femmes.

By Oumar

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