Reportage
Les transferts d’argent venant du Sud ont permis à des milliers de femmes dans les zones rurales du Sénégal et de la République islamique de Mauritanie de vivre mieux grâce à la formation pour l’acquisition de compétences, à l’amélioration de leurs conditions de vie et à l’expansion de leurs activités génératrices de revenus.
Née en 1998 à Bababé, un village mauritanien frontalier du Sénégal, Kadi Samba a obtenu son diplôme de l’enseignement supérieur en Mauritanie en 2020 grâce au soutien financier de son frère établi en France depuis 2012. Après ses études primaires, du collège et les premières années du lycée au village, cette adolescente a choisi de rejoindre la capitale de la République islamique de Mauritanie pour la classe de terminale et se présenter pour le baccalauréat de la série scientifique D, S2 au Sénégal.
A Nouakchott, elle intègre une école privée. Le financement est pris intégralement en charge par son grand frère qui n’a ménagé aucun effort pour une réussite académique dans les meilleurs délais. Le paiement mensuel de la scolarité, du transport entre l’école et son domicile et la consommation quotidienne est devenu une charge pour le frère. Au total, l’ancien étudiant, qui maîtrise bien la situation à l’université, envoyait chaque fin du mois près de 100.000 FCFA à sa petite sœur.
Le rapport de la Migration and Development Brief 35, publié en novembre 2021, de la Banque Mondiale et du Knomad a montré qu’en 2021, les remises migratoires vers les pays à revenu faible et intermédiaire allaient atteindre 589 milliards de dollars, soit une augmentation de 7,3% par rapport à 2020. Une valeur supérieure à plus de trois fois à l’aide publique au développement. Selon toujours cette source, elle dépasserait 50% des investissements directs étrangers, si on exclu la Chine.
L’objectif du soutien de l’émigré avec son soutien était de faciliter la réussite de sa sœur dès la première année pour accéder facilement à l’université. Dans un pays où depuis plus d’une décennie, le taux de réussite au baccalauréat est inférieur à 15%, Kadi Samba a eu à faire beaucoup d’efforts en sacrifiant tout ce qui est divertissement, pour faire partie des élèves qui réussissent. Chose faite même si elle a dû reprendre une année dans une autre école privée. « C’est un geste d’une haute portée de la part de mon frère. Peut-être c’est grâce à son soutien que je suis admise à l’université. Beaucoup de mes camarades n’ont pas eu cette chance. Certains sont restés aux villages, là où il est presque impossible de réussir puisque dans beaucoup de centres des régions, le taux de réussite est nul. D’autres ne pouvaient pas se permettre de s’inscrire dans les écoles privées qui garantissaient un meilleur taux de réussite et plus de sérieux que les écoles publiques. Aujourd’hui elles sont à la maison et ne peuvent pas continuer leurs parcours scolaires ».
A la première année universitaire, l’émigré suspend le financement de la scolarité et participe à hauteur de 30.000 FCFA juste pour assurer le transport et l’achat de fournitures scolaires. En grand acteur dans le social, l’ancien passionnaire de l’université de Nouakchott ne baisse pas ses bras après l’échec à l’université de sa petite sœur. Elle l’expédie à Dakar pour une formation professionnelle.
« Je suis finalement ici au Sénégal pour faire une formation professionnelle. A la fin de la formation, je compte rentrer au pays pour faire carrière là-bas. Mon ambition est de d’avoir un bon travail pour rendre la monnaie à mon frère et si possible soutenir les autres membres de ma famille qui souffrent. A défaut, je pourrai au moins entretenir ma famille et avoir une indépendance financière », a-t-elle ajouté.
Une fois au pays, après formation sa formation, elle aura une forte chance de trouver un emploi bien rémunéré dès la première année. Puisqu’en Mauritanie, les diplômés des universités et écoles privées sénégalaises ne peinent jamais à intégrer le marché du travail. C’est pourquoi, plusieurs élèves et étudiants aspirent aux diplômes supérieurs sénégalais pour un meilleur avenir.
Spécialisée sur des questions relatives à la migration, Professeure Adjaratou Wakha Aidara Ndiaye salue le soutien des émigrés sur l’autonomisation des femmes.
« Ce qu’il faut toujours relever, c’est des écarts entre les femmes et les filles issues des ménages en milieu rural avec les autres. Ils sont plus prononcés en termes d’accès à l’éducation, aux soins de santé. Ces femmes sont victimes des mutilations génitales féminines, des mariages précoces et plus exposées aux violences basées sur le genre. C’est pourquoi cette autonomisation est importante », a-t-elle dit.
Titulaire d’un diplôme de baccalauréat obtenu en 2021, Faty est étudiante dans un institut privé de Dakar. Mariée juste avant l’obtention de son diplôme de baccalauréat à un émigré, l’étudiante reçoit chaque mois près de 250.000 FCFA pour la couverture de sa formation, ses dépenses quotidiennes de restauration et logement et d’autres frais de santé.
Selon la Banque Mondiale (2021 Migration and Development report), le Sénégal a reçu 2,6 milliards de dollars et occupe la quatrième place en Afrique au Sud du Sahara.
La Direction générale d’Appui aux Sénégalais de l’extérieur a montré dans une étude comparative des dispositifs de promotion des investissements des migrant(e)s, du Sénégal et du Maroc que les transferts de fonds des émigrés Sénégalais ont connu une nette amélioration en passant de 233 millions $ en 2006 à 2220 millions $ en 2017. De 2008 à 2017, selon DGASE, la Sénégal a enregistré une moyenne de transferts de fonds de 930 milliards FCFA.
Âgée de 22 ans, Faty a été orientée à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar mais n’a pas choisi de continuer ses études universitaires à cause des conditions d’études.
D’une taille courte et d’un teint clair, cette étudiante tient un sac à main contenant des objets pour le maquillage et des accessoires scolaires. Elle se félicite du soutien de son mari. « Après mon diplôme de baccalauréat, j’étais orientée à la FSJP de l’UCAD avec plusieurs de mes camarades de classe de terminale. Deux mois après le début des cours, j’ai su que je n’étais pas faite pour les études universitaires à cause des conditions d’étude. J’ai discuté avec mon mari qui est émigré en France pour lui expliquer que je ne suis pas dans les dispositions adéquates pour réussir », a-t-elle expliqué.
Plusieurs étudiants de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar vivent depuis les années 2000 de situation très difficiles. Les nouveaux diplômés arrivent rarement à trouver des emplois dans le secteur public et dans les entreprises privées. Ceux qui ont les moyens préfèrent voyager et les autres investissent l’entreprenariat pour trouver une petite préoccupation en attendant les concours. Les femmes qui viennent de l’intérieur du pays sont les plus touchées et les plus exposées aux conditions d’études. Elles finissent le plus souvent à abandonner et rentrent au village.
« Je veux après la formation et quelques années d’expérience ouvrir ma propre boîte afin de participer à la lutte contre le chômage, à la création d’emplois et de la valeur ajoutée, confie Faty. Une partie de mes revenus servirons au financement des activités génératrices de ma famille et à l’investissement dans les activités sociales pour réduire la vulnérabilité des populations ».
La Directrice Exécutive de Partners West Africa (PWA), Professeure Adjaratou Wakha Aidara Ndiaye soutien que la plupart de ses fonds sont destinés à la couverture des besoins liés à l’éducation et à la santé.
« Ces fonds sont plutôt destinés au bien-être des familles notamment pour l’approvisionnement en nourriture, à l’éducation et aux soins des enfants et des femmes. Ils servent à répondre aux besoinsde base des femmes dans le milieu rural », a-t-elle expliqué.
Mettou est une commerçante qui a réussi son business grâce au financement informel de ses proches établis en Europe et aux États-Unis. Elle dispose aujourd’hui d’une maison en étage au village, d’une voiture et d’une autre maison à Nouakchott. Ses résultats financiers lui ont permis de mettre en place une petite entreprise qui emploi une dizaine de personnes. « Nous croyons au travail pour réussir là où les intellectuels ne peuvent réussir. Actuellement, je peux payer mes anciens camarades de classe qui sont des fonctionnaires. Grâce à notre business, nous rencontrons et recevons des visites de très grandes personnalités du pays », a-t-elle lancé.
Mère de huit enfants dont trois en Europe (France, Belgique et Espagne), la sexagénaire applaudit ses enfants et insiste à ce que ses autres enfants retrouvent les émigrés en Europe puisque c’est le seul moyen de réussir. Vivant seule au village avec son petit-fils âgé juste de 4 ans, elle reçoit chaque fin du mois plus de 200.000 FCFA d’un de ces fils qui lui permettent de vivre aisément au village.
« Voilà depuis plus de six ans, je me permets d’utiliser un congélateur qui fonctionne presque 11 mois sur 12, deux ventilateurs, d’un téléviseur, d’appareils chauffe eau et de et de fer à repasser. Ce qui était impossible si mes enfants vivaient dans ce pays », a-t-elle dit avec un grand sourire.
Dans plusieurs villages du Fouta au Sénégal et en Mauritanie, les émigrés envoient des millions de FCFA pour la construction d’immeubles qui servirons de logement pour la réception d’amis et camarades. Ces derniers sont le plus souvent équipés de téléviseurs, de salons de hautes factures, de climatisation et de réfrigérateurs. Même s’ils ne permettent pas aux propriétaires d’en tirer de revenus issus de la location, ces appartements de luxe permettent aux familles proches des émigrés et plus particulièrement aux femmes qui restent aux villages de vivre mieux et d’être à l’abri de la chaleur et d’y résider en sécurité.
Pour une meilleure gestion des fonds destinés aux femmes et aux familles des émigrés, Professeure Adjaratou Wakha Aidara Ndiaye suggère à l’Etat de mettre en place des initiatives pour une inclusion financière.
« Il faudrait que l’Etat amène à ceux qui envoient et ceux qui reçoivent à l’inclusion financière », a-t-elle plaidé.
Les émigrés jouent un rôle extrêmement important dans le développement économique et social des femmes rurales par le financement de la formation et la mise en place de petites et moyennes entreprises agricoles et de services, la construction de biens immobiliers privés et dans le financement des biens sociaux (hôpitaux, écoles et lieux de cultes).
Par Oumar Ba
Pour une meilleure optimisation des transferts de fonds des émigrés, oui.