La DTS : un danger pour la résilience économique des femmes de Tivaouane

Pour favoriser la mobilité des personnes et des biens, l’Etat du Sénégal a obtenu un financement pour la mise en place d’une autoroute Dakar-Tivaouane-Saint-Louis. Côté pile, cette infrastructure va renforcer les mouvements des personnes et des biens et favoriser le développement économique des zones affectées. Côté face, plusieurs femmes vont perdre leurs sources de revenus.

Reportage N°1 par Oumar BA

A Tivaouane, le chef lieu du département du même nom, des centaines de femmes s’activent dans le commerce de fruits et légumes. Leurs principaux clients sont des voyageurs qui empruntent la route nationale N°2 et se dirigent vers la capitale régionale de Saint-Louis ou celle de Thiès. Avec la construction de cette autoroute, plusieurs véhicules, pour gagner du temps, seront obligés d’utiliser la DTS et par ricochet contourner la capitale de la confrérie Tidiane. Ce qui va représenter un danger pour la résilience économique des femmes du secteur informel.

Au carrefour de la ville Sainte de Maodo Malick, la circulation est dense, ce jeudi 26 janvier vers 11 heures. Cette situation s’explique par la suspension du mot d’ordre de grève des acteurs du transport. Les automobilistes, les conducteurs de motos et des charretiers utilisent l’axe principal comme s’ils étaient au marché. Personne ne respecte le code de la route. Conséquence : des embouteillages durant des minutes. Les vendeurs de fruits en profitent pour se rapprocher des voitures et proposer leurs marchandises aux passagers.

A moins de deux mètres de la route nationale, une femme âgée de plus de 60 ans est assise sous une tente de fortune. Elle emballe des oranges et des mandarines. Devant elle, une petite table lui sert d’un stand d’exposition. Elle s’appelle Ndeye Fatou Diop et travaille ici depuis plus de 25 ans. « Durant toutes les années passées ici, je m’en sors bien. Dieu merci, cette activité m’a permis de construire des chambres chez moi et de participer à la vie économique de la communauté, a-t-elle soutenu. Avec le projet de l’autoroute, notre activité est menacée et ça va être difficile voire pire dans les années à venir pour nous qui n’avons pas l’assistance des autorités pour se reconvertir. Nous allons perdre notre source de revenus et le statut que nous avons eus à travers le commerce. »

Ndeye Fatou demande un accompagnement pour soutenir toutes les personnes qui seront victimes du projet et qui risquent de croiser les bras à cause d’absence de perspectives et d’initiatives pour la reconversion.

Sokhna Fall a 60 ans révolus. Elle a passé plus de deux décennies à vendre toutes sortes de fruits consommés au Sénégal. Grâce à cette petite activité au carrefour, elle a pu assurer le financement de l’éducation de ses enfants et leurs nourritures. « Je suis ici depuis la naissance de mon premier enfant qui est actuellement au lycée. Je vends des oranges, des mandarines, des bananes et autres fruits qui viennent en fonction de la saison aux voyageurs qui passent par Tivaouane. Avec cette activité, nous parvenons à couvrir nos besoins, ceux de notre famille et de nos enfants. C’est grâce à elle que nous finançons l’éducation et la santé de nos enfants », a-t-elle expliqué.

Malgré leurs âges, statuts et leurs contributions à l’économie nationale, leur avenir sombre ne peut dissuader les autorités à mettre en place des politiques d’accompagnement des personnes impactées indirectement par ce projet. « On ne peut pas dissuader l’Etat à changer d’avis sur cette question. Car, il a tous les moyens et fait tout ce qu’il veut sans concertation. Ça sera difficile pour une cheffe de ménage ou une responsable d’un foyer de vivre avec l’exploitation du projet à Tivaouane. Elle sera obligée, pour travailler, d’aller ailleurs ou changer d’activité. Ce qui sera difficile, voire impossible », a-t-elle ajouté.

Khady Gueye, 68 ans, ne vit qu’avec l’exploitation de la route nationale et parvient, tant bien que mal, à couvrir les besoins de ses enfant. Avec l’arrivée de l’autoroute à péage, les volumes de fruits vendus risquent d’être divisés par deux. «  Au lieu de vendre deux à trois sacs par jour, on se retrouve avec la moitié, du coup, les recettes ne permettront pas aux commerçants de couvrir toutes leurs dépenses », a-t-elle affirmé.

Ces femmes de troisième âge qui travaillent depuis des décennies au carrefour ne reçoivent aucune aide du gouvernement, saut en cas de catastrophe. Ce sont elles qui subissent le plus souvent les externalités négatives des projets et basculent, dès le début de l’exploitation d’un ouvrage, dans la pauvreté.

Le 9 janvier dernier, le Sénégal a connu un accident de circulation, le plus meurtrier de l’histoire du pays, puisqu’il a fait plus de 40 morts. Suite à la tragédie, le gouvernement a pris plusieurs mesures pour lutter contre la recrudescence des accidents. Quelques heures après l’entrée en vigueur, les acteurs du transport terrestre ont observé une grève de plusieurs jours.

L’arrêt des activités des automobilistes a fortement touché les femmes de Tivaouane. En quelques jours, elles ont perdu beaucoup d’argent à cause de l’absence de clients et du pourrissement de leurs marchandises. Durement frappées, elles n’ont reçu aucun soutien de l’Etat.

Élisabeth Diatta fait partie des femmes les plus âgées au carrefour. Ce qui lui a valu le nom de Maman Eli. Pour vendre, elle court derrière les voitures avec des sachets de fruits. Une fois rattrapé une voiture, elle entre à l’intérieur avec ses marchandises pour attirer l’attention des voyageurs avec une voix mélodieuse. Même si, des fois, elle n’est pas autorisée à monter dans la voiture, elle réussit, quand même, à convaincre quelques personnes à acheter les fruits par les fenêtres.

Née le 16 octobre 1960, Eli travaille depuis 1990 au carrefour de 9 heures à 22 heures. Depuis cette année, elle se frotte les mains même si elle n’a pas réussi à construire des immeubles ou épargner des millions de FCFA dans un compte bancaire. Malgré la situation difficile et son âge, elle a tant bien que mal réussi à assurer les dépenses quotidiennes de sa famille et de faire des transferts à ses proches établis au village. « Nous aurons beaucoup de difficultés avec cet ouvrage. Car nous n’auront rien à donner ou à apporter à nos enfants. Cette route est tout ce que nous avons comme source de revenus » a-t-elle soutenu avec une grande préoccupation.

Adama Ndour est orpheline. Âgée d’une trentaine d’années, elle vient chaque jour au carrefour pour vendre des fruits dans le but de trouver des moyens financiers pour acheter des sacs de riz pour soutenir ses frères et sœurs et acquérir différents accessoires utiles pour son corps.

La route nationale Nº2 continue de représenter la principale source de revenus pour des milliers de femmes qui s’activent dans le commerce de détail des fruits et légumes. Elle est par conséquent un moyen efficace de lutte contre le chômage et la dépendance économique chez les femmes. C’est pourquoi, elles devraient attirer l’attention des autorités pour une meilleure prise en compte de la protection de leurs activités.

Elimane Haby Kane : « Cet Ouvrage est une nouvelle forme d’enclavement » (Interview N°1)

Le Président de Legs Africa, un Think Tank panafricain qui a une orientation scientifique, politique et socioéconomique, a soutenu que l’autoroute Dakar-Tivaouane-Saint Louis va créer une nouvelle forme d’enclavement et n’a pas sa raison d’être puisqu’elle va renforcer davantage les inégalités socioéconomiques et la vulnérabilité de la majorité composée des acteurs de l’économie informelle.

Oumar BA : Vous avez assisté à la cérémonie de présentation du rapport d’étude d’impact environnemental et social sur le projet GTA. Que peut-on retenir de cette étude ?

Elimane Haby KANE : Nous avons été invités en tant que acteur de la société civile par la Direction de l’Environnement et des Établissements Classés, DEEC, pour prendre part à la cérémonie de restitution des résultats de l’étude d’impact environnemental et social sur l’ouvrage en vue de sa validation. Après avoir pris connaissance de son contenu et de l’approche méthodologique, nous avons jugé nécessaire, après avoir partagé nos craintes et nos observations pendant la session, de faire une recommandation pour invalider la partie concernant l’autoroute Dakar-Tivaouane-Saint Louis.

Nous avons produit un texte en vue d’alerter l’opinion sur les dangers de cet ouvrage mais également la faiblesse de l’étude d’impact environnemental qui n’a pas pris en compte tous les aspects de la vie économique et sociale des populations concernées par le tracé de la DTS.

Nous pensons que cette étude est très limitée même si elle permet de voir quand même certains risques en matière de dévastation du patrimoine floral que nous avons mais également sur l’agriculture. Parce que cet ouvrage va traverser le poumon agricole du Sénégal, à savoir les Niayes mais également au-delà jusque dans le Ndiambour où il y avait des populations qui avaient des projets maraichers et de plantation de fruitiers et qui n’avaient une information concernant le tracé de l’autoroute.

Dans votre déclaration intitulée « vers un véritable scandale environnemental, social et sanitaire », vous avez fait allusion aux risques sécuritaires. Quel est lien entre cette autoroute et l’insécurité ?

Si cet ouvrage a pour finalité de faciliter la mobilité entre la capitale Dakar et la région de Saint Louis, c’est une bonne chose. Mais elle ne doit pas se faire avec des externalités négatives qui peuvent menacer non seulement les moyens d’existence des populations riveraines mais aussi l’environnement, la qualité de l’air et de l’eau.

Sur le plan sécuritaire, je ne sais pas ce que l’Etat a comme disposition pour faire face à l’insécurité. Mais, nous savons que compte tenu de la situation dans la région, nous sommes pour le moment épargnés, cela veut dire qu’il y a un travail important qui se fait en matière sécuritaire dans le pays et certainement au niveau des frontières.

Ce dont on veut parler, c’est des risques parce que c’est connu par la recherche sur les dynamiques terroristes que les groupes armés cherchent à atteindre les côtes et ont déjà accaparé un certain nombre de la zone du Sahel, comme le Mali, le Burkina qui a perdu le Nord, les frontières mauritaniennes. Bref tout se qui ceinture le Sénégal est déjà devenu une zone où se sont installés des groupes terroristes. Donc, la menace est à nos portes. Certains spécialistes disent même que la menace est déjà à l’intérieur de nos frontières.

Cette autoroute, qui relie le centre et le nord, est un moyen qui favorise la rapidité du mouvement. Donc ca peut être effectivement un ouvrage qui n’est pas dépourvu de risques d’attrait ou de facilitation de développement de mouvements terroristes dans le pays. Parce que toute infrastructure de ce genre a donc comme conséquence un mouvement de populations, d’activités économiques, un mouvement social. Donc ce sera tout simplement une nouvelle attraction pour non seulement ceux qui veulent en profiter pour économiquement mieux améliorer leur situation mais également ceux qui veulent en profiter pour faire avancer le projet terroriste.

Selon plusieurs femmes, cette autoroute est une menace pour leur résilience économique. Qu’en pensez-vous ?

C’est la question des menaces sur les moyens d’existence des acteurs économiques. L’autoroute va traverser le grenier agricole et les zones maraîchères du Sénégal, comme Louga et Saint Louis où les populations cultivent toutes sortes de céréales.

Beaucoup de femmes travaillent, dans ces zones, dans l’agriculture, la transformation et commercialisation des produits agricoles.  Donc, les risques sont réels par rapport à l’impact de l’ouvrage sur les terres et la mobilité des populations rurales. Parce que c’est une autoroute payante.

Cela ne va pas dire qu’elle va faciliter la mobilité de ces acteurs économiques au contraire ça peut même les isoler. Parce que si vous comparez l’étude qu’on avait eue à faire sur l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio et cette dernière, on se rend compte que l’ouvrage a davantage favorisé l’enclavement. Des zones qui étaient économiquement viables ont été démantelées et les populations se sont trouvées avec des difficultés de mobilité. Parce que l’ouvrage privilégie ceux qui partent de Dakar pour sortir. Donc elle constitue de nouveaux blocages pour les populations riveraines qui sont coupés en deux et leur mobilité devient plus difficile.

Beaucoup d’acteurs économiques ont perdu les unités économiques. Ce type d’impact là aussi va se reproduire dans cette zone-là. L’autoroute va forcément toucher les acteurs économiques locaux qui, au lieu de bénéficier de cet ouvrage, vont plutôt subir des pertes sur le plan économique et sur le plan de la mobilité. Parce qu’il y aura une nouvelle forme d’enclavement qui sera créée. Des pistes vont être menacées, coupées et même dans des zones agropastorales où des éleveurs promènent leurs troupeaux.

Donc tous ces problèmes ne sont pas clairement analysés avec les populations pour pouvoir donner des pistes de mitigation claires. C’est ça qui n’existe pas encore.

En matière d’impact environnemental et social, il y a trois niveaux de prise de décisions. Le premier niveau est lié aux risques qui peuvent être anticipés. C’est-à-dire ce que nous devons faire pour anticiper pour qu’ils n’adviennent pas. Le deuxième est lié aux mesures qui pourront atténuer les chocs sur l’environnement et sur les populations. C’est-à-dire voir s’il faut remplacer, par exemple, une activité économique ou une perte de revenus par une compensation financière ou une compensation économique qui permettrait de reconvertir les acteurs impactés. Le dernier est relatif à l’annulation du projet si on n’arrive pas à atténuer les risques. Ce projet n’a pas sa raison d’être parce qu’il va avoir un impact sur lequel nous ne pouvons absolument rien faire.

Il n’y a pas une grille d’analyse respectant ces niveaux de prise de décision qui a été partagée avec les populations pour se donner une idée précise sur le projet.

Si on ne fait pas ce type d’analyse qui intègre l’analyse économique basée sur les externalités et sur les inégalités, ce projet va créer d’autres problèmes. Malheureusement, on a vu que tous les grandes ouvrages que nous faisons dans ce pays et qui peuvent être structurants sur le plan économique ne servent qu’à une minorité de la population. C’est-à-dire, cette minorité de populations qui ont des voitures, des moyens de se déplacer, de payer même si c’est trop cher les prix. Et pour ces personnes, il n’y a pas de problème. Parce qu’ils gagnent en vitesse. Donc, c’est une minorité qui gagne en vitesse et cette vitesse a donc des impacts sur la rentabilité économique de leurs propres activités.

Cette minorité est favorisée par ces ouvrages structurants. Par contre, ces ouvrages ont des impactes sur les majorités, les majorités des populations riveraines qui vivent au quotidien dans l’économie spontanée directe et se rendent compte que leurs activités sont entravées, leur quotidien est devenu beaucoup plus difficile. Parce que leurs mobilités autour de ces ouvrages sont devenues beaucoup plus compliquées, leurs relations sociales sont arrêtées par les impacts de ces ouvrages.

On continue à appauvrir cette majorité de populations et donc ce qui fait que finalement ces grands ouvrages tels que structurants sont des ouvrages qui contribuent à renforcer davantage les inégalités dans ce pays qu’a véritablement permettre un développement économique basé sur la solidarité tel que veut nous présenter le PSE comme étant donc sa finalité.

Peut-on dire que cet ouvrage est réservé aux opérateurs économiques et particulièrement des étrangers ?

Cette autoroute ne peut servir qu’à ceux-là, qui aujourd’hui, produisent et qui ont besoin d’accéder à notre marché. Beaucoup de fruits que nous achetons ici viennent effectivement du Maghreb en passant par la Mauritanie. Evidemment, cette voie ne fera que faciliter leurs entrées dans le marché sénégalais.

Beaucoup d’entreprises qui exploitent, par exemple, le marché de l’anacarde ne sont pas des entreprises sénégalaises. Ce sont des entreprises indiennes, pour la plupart et d’autres, qui font les affaires, qui marchent et exploitent d’autres marchés.

Si on a des voies qui facilitent l’intégration, c’est très bien. Parce que nous militons pour l’intégration africaine. Et des voies de communications sont importantes pour permettre le déplacement facile les populations. Mais aujourd’hui, dans le contexte de l’économie néolibérale, toutes ces infrastructures profitent d’abord et avant tout à ceux qui dominent l’économie et qui ont besoin d’un marché et de facilités pour accéder davantage à notre marché. C’est une minorité d’opérateurs économiques et la plupart du temps qui sont étrangers et une élite sénégalaise qui a les moyens, parfois intermédiaires des entreprises étrangères pour faciliter l’accès au marché local. Donc, ce sont ces gens-là qui représentent une minorité qui profitent véritablement de ces ouvrages.

Avec l’augmentation de l’émission de gaz à effet de serre, les populations sont-elles bien préparées ?

Absolument pas. Je pense que ça fait partie des limites de cette étude d’impact. Parce qu’elle n’a pas suffisamment pris en compte la pollution de l’air et ses conséquences sur les populations, sur l’écosystème, sur l’eau, sur la santé des populations riveraines. Nous pensons que c’est des questions sérieuses qu’il faut prioriser et je crois qu’il y a encore à faire sur ce plan-là.

Ngaye : plus de 300 ateliers menacés par le DTS

A Ngaye Mékhé, une comme du département de Tivaouane, le projet de l’autoroute Dakar-Tivaouane-Saint-Louis menace l’existence de plus de 300 ateliers de production de chaussures artisanales. Le village traditionnel qui regorge beaucoup de potentialité dans la transformation des produits locaux et la production d’objets d’art va payer un lourd tribut.

Reportage N°2 par Oumar BA

La commune de Ngaye Mékhé est une localité située sur l’axe Dakar-Thies-Saint-Louis. La ville possède deux ouvertures sur les autres localités du pays par la route qui dessert la ville sainte de Touba (Thilmakha) et celle qui se dirige vers Bambey et Fatick (Baba Garage). La capitale économique du Cayor est le point de convergence de plusieurs métiers traditionnels. Sa population pratique la cordonnerie, la transformation des fruits et légumes, la menuiserie de bois, la tannerie, la mécanique etc. Le développement de ces métiers a contribué à la lutte contre le chômage des jeunes, l’exode rural et l’émigration clandestine. C’est pourquoi, Mékhé est devenu une ville d’attraction à cause des opportunités d’emplois et de la création de richesse.

Dans cette localité, la capacité de production quotidienne est estimée à plus de 1 600 pairs de chaussures par jour. La plupart des clients sont des personnes qui utilisent la Route nationale N°2 pour voyager. Avant la construction de l’autoroute Ila Touba, elle tirait profit des voyageurs à destination de Touba et qui passaient par Thilmakha. Du coup, elle enregistrait de bonnes performances économiques les acteurs économiques se frottaient les mains.

Avec le Plan Sénégal Émergent qui a favorisé l’augmentation du taux de couverture des infrastructures routières, autoroutes à péage, la situation économique de Ngaye est en train de connaître des lendemains sombres et la courbe des performances économiques va forcement suivre une tendance baissière, si rien n’est fait pour ces acteurs économiques.

Au cœur de la ville, un homme âgé d’une quarantaine d’années gère un magasin de chaussures en face de la Route nationale RN2. Dans cette boutique, bien organisée, le gérant est assis sur un banc et attend avec impatience des clients. Contrairement à Tivaouane, ici les clients ne courent pas derrière les voitures pour écouler leurs produits.

Le responsable de la boite « Kasse et frères » a totalisé 20 ans d’expérience dans ce métier. Formé sur le tas par son père, il est devenu un grand entrepreneur qui maîtrise désormais tout le circuit de la production. Son travaille lui a permis d’être autonome et de créer plusieurs emplois dominés par des garçons. Le Businessman fait le rapprochement entre l’autoroute Ila Touba et celle de Dakar-Saint Louis pour mesurer les potentielles pertes qui seront subies.

« Avant la construction de l’autoroute Ila Touba, les personnes qui se rendaient à Touba passaient par là et achetaient beaucoup de produits « made in Ngaye ». Mais avec son exploitation, nous avons enregistré une grande perte et les clients se font de plus en plus rares, a expliqué Pape Ndiouga Kasse. Avec cette autoroute, Dakar-Saint Louis, toutes les personnes qui utilisent la RN2 pour se rendre vers Saint-Louis ou Thiès ne vont plus passer par Ngaye. Donc, elles ne pourront plus avoir accès à nos produits. C’est un danger réel qui se pointe à l’horizon ».

Ibrahima Mbaye est né à Ngaye Mékhé et a grandi à côté de ses parents. Il a été formé à la cordonnerie par ses parents et frères. Aujourd’hui, il a 50 ans et continue de gérer son entreprise et y former des jeunes. Ngalla Mbaye apprécie l’initiative et reste pessimiste sur son sort et celui de ses camarades. « C’est une bonne initiative si elle permet de faciliter la mobilité des personnes et des biens. Mais de notre côté, les artisans du département de Tivaouane, nous allons subir et payer les pots cassés, a-t-il affirmé. Ila Touba a tué notre activité. Avant, les gens venaient de partout et achetaient durant le grand Magal. Depuis son inauguration les choses ont changé et notre chiffre d’affaires a connu une nette baisse. Même les vendeurs de cacahuètes ont subi cette situation désastreuse ».

Pour continuer à exercer leurs métiers, les artisans de Ngaye prévoient de délocaliser leurs business et de rejoindre l’autoroute à péage pour écouler leurs produits. Ainsi, Ngalla demande aux autorités de mettre en place un village d’exposition ou centre artisanal pour permettre aux acteurs d’avoir accès aux clients et de vendre leurs produits.

Mor Mbaye est un nouveau cordonnier puisqu’il n’a fait que sept ans dans ce métier à Ngaye Mékhé. Lui aussi, il a beaucoup de soucis avec la déviation. « La déviation, qui va permettre aux automobilistes de contourner la commune de Ngaye, capitale de l’artisanat, va provoquer un impact défavorable sur nos activités », a-t-il dit.

Ngaye est une ville carrefour. Malgré le poids du commerce des produits de l’artisanat, elle ne dispose jusqu’à présent pas d’un grand local qui répond aux normes internationales et pouvant accueillir de potentiels clients qui achètent en gros. C’est pourquoi la seule possibilité qui s’offre aux entrepreneurs est l’occupation des places en face de la route nationale.

Assane Kasse est le Président de l’Union des Artisans de Mékhé et Environs (UAME). Il est retissant. Il demande à l’Etat du Sénégal d’évaluer les pertes occasionnées par l’autoroute Ila Touba pour mesurer l’impact de DTS sur les activités de Ngaye.

« Dans tous les villages traversés par l’autoroute Ila Touba, les populations ont rencontré par la suite beaucoup de difficultés et ont subi de lourdes pertes. Est-ce que l’Etat du Sénégal va prendre en compte cette variable dans l’exécution du projet ?, se demande-t-il.

Avec les crises économiques, financières et sanitaires, l’économie mondiale a connu de faible performance. Le Sénégal n’a pas été épargné. La pandémie du Coronavirus et la guerre en Ukraine ont provoqué la baisse des recettes des acteurs économiques et le chômage.

« Nous vivons déjà de l’enfer avec les problèmes liés à la vente de nos produits à cause de la pandémie et de la guerre en Ukraine. Si on y ajoute cette infrastructure, quel sera le sort de notre activité ? », a-t-il ajouté.

Avec cette infrastructures, les bus, communément appelés horaires, qui peuvent contenir plus de 60 personnes et les voitures provenant de la Mauritanie ne seront plus obligés d’utiliser la RN2 et Ngaye, comme localité de transit. Ce qui va provoquer une réduction des ventes et par ricochet la précarité chez les artisans. « Avec cette autoroute, la situation va devenir pire et favoriser d’autres problèmes socioéconomiques », a-t-il averti.

Le Président de l’UAME demande à l’Etat du Sénégal et à tous les acteurs impliqués dans l’exécution du projet de faire le recensement des personnes qui seront indirectement impactées par le DTS pour un accompagnement nécessaire à leur survie. Il veut la mise en place de cantines à côté des stations de services ou des espaces pouvant abriter un village d’exposition sur l’autoroute pour permettre aux voyageurs d’avoir accès au différents produits « made in Ngaye » et de protéger ces acteurs de l’économie informelle qui sont incontournables dans la croissance économique du pays.

El Hadj Malick Diop plaide pour un Centre artisanal pour préserver les emplois (Interview N°2)

Ancien député-maire de Tivaouane de 2002 à 2014 et actuel Secrétaire général du Conseil départemental de Tivaouane, El Hadj Malick Diop appelle les autorités à mettre en place un centre ou village artisanal à Ngaye Mékhé pour permettre les artisans de vendre leurs produits aux usagers de l’autoroute Dakar-Tivaouane-Saint Louis.

Oumar BA : Le Sénégal s’est lancé dans un vaste projet de développement des infrastructures routières pour renforcer la mobilité des personnes et des biens. L’autoroute Dakar-Tivaouane-Saint Louis, d’un linéaire d’environ 200 kilomètres, va contourner Tivaouane, Mékhé entre autres localités. Quelle lecture faites-vous de cette infrastructure ?

El Hadj Malick Diop : Il faut saluer cette initiative, ce grand projet du chef de l’État Macky Sall de doter d’une côtière autoroutière à Dakar, Tivaouane et Saint-Louis. Aujourd’hui, ce projet très attendu par les populations. Cependant, il pose en fait beaucoup de questions. D’abord, pour faire passer l’autoroute, il faudrait payer les emprises, des sols qui appartiennent à des familles paysannes. C’est le premier aspect qu’il faudrait rapidement s’accorder sur le mode de paiement de ces impenses et ensuite du point de vue des impacts, nous savons que le département de Tivaouane est surtout un hub fruitier et maraîcher. Les vendeurs occupent le long de la Route Nationale numéro 2 et toutes leurs activités vont être réduites à leur plus simple expression.

Nous attendons de cette autoroute du point de vue de son impact positif, l’emploi des jeunes donc la création de beaucoup d’emplois au moment où on construit la route et après lors de son exploitation. Du point de vue économique, nous savons que l’autoroute à péage est un projet de partenariat public-privé. Donc, il faudrait en fait bien négocier le coût social.

Cette autoroute va traverser des villes dont la composition socioprofessionnelle des habitants est essentiellement agricole et rurale. Donc il faudrait ajuster les prix aux conditions de vie de ces populations pour leurs permettre d’accéder à l’autoroute à péage.

Selon le rapport d’étude d’impact environnemental et social, 409 088 arbres forestiers et 32 846 arbres et arbustes fruitiers seront abattus pour la construction de l’autoroute. Ce projet est-il nécessaire au regard de son impact sur l’environnement ?

On ne peut pas faire d’omelettes sans casser des œufs. C’est vrai que l’aspect environnemental est fondamental. Mais je pense qu’on peut facilement replanter, réhabiliter ces zones. Dans des pays hautement développés, ce sont des infrastructures de ce genre qui traversent des forêts. Mais il y a un don de redevabilité environnementale dans ces pays pour que tous les arbres qui sont touchés puissent être remplacés.

Le problème qui se pose, c’est que ce sont des zones qui ont des vergers et qui produisent beaucoup de fruits. Je pense qu’il faudrait les compenser pour atténuer leur impact sur l’environnement, revoir la libération des impenses et les mesures de compensation pour permettre aux personnes concernées d’avoir d’autres activités économiques et de développer des micro-projets pour que les jeunes se tournent vers la terre en allant vers le maraichage.

La route nationale numéro fait office d’une source de revenus pour des milliers de femmes qui s’activent dans le commerce de fruits et légumes. Cette autoroute ne sera-t-elle pas une menace pour ces femmes ?

Aujourd’hui, on voit que la route nationale numéro 2 est saturée du point de vue du trafic. Pour aller à Saint Louis en quittant Dakar, on doit passer par Thiès, Tivaouane ou Mékhé. Si on n’a pas besoin de passer par ces villes, il va falloir alors contourner ces localités par cette autoroute. Cependant, il faut prévoir des bretelles pour permettre à ceux qui voudraient bien passer dans ces villes de le faire et d’acheter des fruits ou des légumes.

Il y a, bien sûr, un coût, une externalité négative. Puisque l’autoroute va impacter sur les conditions de vie et de travail de toutes les femmes de ces zones. Les départements, pour prendre en compte cet aspect, devraient être au cœur du dispositif institutionnel de mise en œuvre de cette autoroute pour défendre les populations, pour que la voix de ces populations soit entendue dans cette phase de négociation qui est importante.

Ngaye Mékhé, la capitale de l’artisanat, sera la principale victime du projet. Quelles sont les perspectives qui s’offrent à cette commune pour préserver son économie ?

Il faudrait qu’on se mette à l’ère du numérique, que Ngaye Mékhé soit doté d’un Showroom et que ses populations qui s’activent autour de l’artisanat puissent faire du e-commerce, du commerce électronique, pour continuer leurs activités économiques. C’est un aspect qu’on devrait pouvoir intégrer dans ce projet. C’est vrai que Ngaye Mékhé va être impacté négativement parce que nous savons que c’est la capitale du cuir, c’est la capitale de l’artisanat des chaussures et des objets d’art. Donc, fondamentalement, l’autoroute aura un impact négatif sur ces activités. Mais je pense qu’il y a des moyens de compensation et il faudra bien y réfléchir. L’essentiel, c’est que la voix des populations soit entendue.

Les artisans de Mékhé réclament un village artisanal sur le tracé. Cette doléance est-elle envisageable ?

Au Maroc, l’autoroute qui va de Marrakech à Fez est dotée d’arrêts, des boutiques permettant aux voyageurs d’observer des pauses et faire des achats au niveau de ces surfaces. On peut organiser cette autoroute de telle sorte qu’on ait un centre artisanal ou un village artisanal pour permettre aux touristes, à ceux qui voudraient acheter des produits made in Ngaye de s’arrêter et d’avoir accès aux différents produits.

Je pense qu’il faudrait réfléchir d’une façon holistique pour ne pas simplement avoir une autoroute à péage essentiellement destinée au transport mais y greffer tous les aspects qui font la popularité des villes traversées.

Avec le développement des technologies de l’information et de la communication, est-il possible d’accompagner ces artisans pour soutenir les jeunes dans la formation ?

Nous sommes le seul département, aujourd’hui, à disposer d’un Pôle Internet et Services associés. C’est un pôle qui est destiné aux métiers du numérique. Pour la formation des jeunes, nous allons commencer avec la première cohorte qui est en train d’être sélectionnée. Nous avons des partenaires marocains, sud-africains, israéliens et l’Etat du Sénégal. Nous sommes en train de concrétiser ce grand projet « e-territoire » du Président de la République.

Aujourd’hui, le numérique est devenu un outil qui améliore la qualité du service public. Donc, fondamentalement, il va falloir s’y pencher et nous sommes en collaboration avec des organisations africaines et sénégalaises. Nous avons des partenaires comme Gorée Institute, le Gret Africa et d’autres organisations avec lesquels nous sommes en train de développer des projets sur le numérique. Le Président de la République viendra, lors de sa visite économique, à Tivaouane pour inaugurer et lancer le projet PISA.

By Oumar

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