Le Sénégal a connu de profonds bouleversements liés à la gestion de l’environnement ces dernières années avec le déclassement de plus de 1 000 hectares de la bande des filaos entre 2018 et 2023. Les conséquences, si elles devaient être favorables aux populations qui ont été frappées par les changements climatiques, d’une part, et impactées par le projet d’aménagement, de lotissement et d’équipements collectifs, d’autre part, risquent de provoquer dans les années à venir, à l’absence du signataire des décrets, des dégâts matériels, humains et sur l’environnement d’une haute facture : un désastre environnemental et écologique.

Le 11 septembre 2018, le président de la République avait signé plusieurs décrets de déclassement de la bande des filaos. Il s’agit du décret n° 2018-1738 du 11 septembre portant déclassement de 4ha 20a 00ca du Périmètre de Reboisement et de Restauration des Niayes, zone de Cambarène, pour les besoins d’un lotissement administratif au profit de l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS) ; du décret n° 2018-1739 du 11 septembre 2018 portant déclassement de 45ha 32a 64ca du Périmètre de Reboisement et de Restauration des Niayes, zone de Malika, pour les besoins d’un lotissement administratif au profit de la communauté Layène et du décret n°2018-1740 du 11 septembre 2018 portant déclassement de 23ha 99a 95ca du périmètre de reboisement et de restauration des Niayes, zone de Malika, pour la réalisation d’un projet d’aménagement, de lotissement et d’équipements collectifs.

En juin 2021, le président de la république du Sénégal signe, à nouveau, un décret n°2021-701 du 4 juin 2021 portant déclassement de 150,58 hectares de la bande des filaos pour rendre exécutoire le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) de Guédiawaye. L’objectif : construction de différents équipements et logements. 43,92 % de la superficie totale sont réservés à l’habitat ; 21,01 % aux voiries et réseaux divers ; 35 % réservés aux équipements. Malgré la résistance des organisations de la société civile de Guédiawaye devant la Cour suprême, le combat contre la mise à mort de la bande des filaos n’a pas produit d’effets escomptés et poussé le chef de l’Etat à laisser les plantes dicotylédones jouer pleinement leurs rôles dans la lutte contre les changements climatiques, l’érosion côtière, l’avancée de la mer. Moins de deux ans après, son Excellence revient à la charge et continue son funeste projet de déclassement de la bande des filaos. Une initiative qui portera atteinte à la biodiversité et à l’environnement. La bande de filaos de Guédiawaye couvre une superficie de 5,18 km sur une superficie totale de la forêt classée de filaos de 180 km, de Cambérène dans le département de Dakar à Darou Mboumbaye au sud de Saint-Louis.

Le 5 avril 2023, il signe un autre décret portant déclassement de 826 hectares de la bande des filaos. Le décret n° 2023-813 autorise le défrichement d’une zone qui s’étend du rond-point Gadaye à Guédiawaye à Tivaouane Peulh, en passant par Yeumbeul-Nord, Malika. Ce dernier entre également dans le cadre d’un projet d’utilité publique, PUD. 

Les déclassements de la bande des filao, très appréciés par les hommes d’affaires et certains élus locaux qui sont devenus des prédateurs fonciers, provoquent la rupture du fonctionnement des arbres et mettent fin au rôle régulateur des arbres. « Les grands arbres ont beaucoup de fonctions et d’utilités parmi lesquelles nous pouvons citer le maintien d’une excellente stabilité climatique grâce à leur capacité d’absorption de C02 et donc constituant des puits de carbone ; la sécurisation physique des terres pour la lutte contre l’érosion côtière et donc l’avancée de la mer, la protection des habitations contre les grands vents violents, le refroidissement du continent par le recyclage et la transmission des vents frais (absorption de CO2 et diffusion d’02) ; la protection des terres contre le phénomène de salinisation par une pénétration rapide des eaux salées vers le continent ; la fixation des dangereuses dunes de sable ; la protection des petits arbres et donc la faune y attributaire ; la fertilisation des terres, car les feuilles des filaos sont les meilleurs fertilisants disponibles ; le maintien d’une esthétique du milieu », a rappelé Pathé DIEYE.

Selon le Conseiller technique à la Direction nationale de l’Environnement et des Etablissements classés du Ministère de l’Environnement, du Développement Durable et de la transition écologique, la bande des filaos mettait à la disposition du littoral des services écosystémiques essentiels (services d’approvisionnement de ressources alimentaires, services de régulation climatiques, services culturels et les services de soutien génétique).

Plantée en 1948, cette forêt classée, qui avaient mobilisé beaucoup de ressources financières de l’Etat et de ses partenaires techniques et financiers, permettait de fixer les dunes de sable et protéger la population de l’érosion côtière. Cette bande a longtemps été utilisée par les acteurs du maraîchage pour la culture des fruits et légumes. Des agriculteurs utilisaient cette zone pour des activités génératrices de revenu. Avec les déclassements, ils perdent leurs moyens de subsistance et se sont retrouvés aujourd’hui dans des situations difficiles et parfois les amènent à tenter l’émigration irrégulière.

« On ne peut que regretter, à chaque fois qu’il y a déclassements des forêts classées d’autant plus que la bande des filaos, le long de la côte, a coûté énormément d’argents à l’Etat du Sénégal. Les objectifs qui étaient assignés à cette bande des filaos, étaient de fixer les dunes de sable et de lutter contre l’avancée de la mer », a déploré Mamadou DIALLO dans une interview accordée à Weer Bi.

Vu les conséquences néfastes sur l’économie informelle et l’environnement, des jeunes ont organisés des manifestations et interpellé les autorités pour dénoncer l’agression du poumon vert de Dakar. Des organisations de la société civile et de la jeunesse de la banlieue avaient attaqué en justice, le 4 aout 2021, le décret n°2021-701 du 4 juin 2021. Déposée devant la Cour suprême par les coordonnateurs du Forum civil/Guédiawaye, de l’Action Jeunesse et Environnement (Aje), de Jeunes Volontaires pour l’Environnement (Jve) et du collectif «Aar Sunu Littoral» contre l’Etat du Sénégal, cette requête a été rejetée.

Pourtant l’Association sénégalaise des Amis de la Nature et plusieurs acteurs de la protection de l’environnement avaient saisi vers la fin des années 1980 l’ancien président sur les agressions de la bande des filaos. « Nous avions alerté le chef de l’État, le président Abdou Diouf qui avait pris des mesures idoines pour arrêter et stopper ces gens qui étaient animés par la boulimie foncière et qui voulaient occuper cette bande des filaos, a rappelé le Secrétaire général de l’Association sénégalaise des Amis de la Nature. En détruisant cette bande des filaos,en y mettant des infrastructures, on expose les populations à l’avancée de la mer et aux embruns marins. (…)Avec l’avancée de la mer, Il y a de fortes chances que nous perdions une bonne partie des infrastructures routières, par exemple, donc ce serait un éternel recommencement ».

Selon le site d’information Pressafrik qui reprend un article de Seneweb du 12 février 2022, le déclassement avait permis de servir une clientèle de privilégiés. 320 conseillers municipaux sortants des 5 communes et de la ville de Guédiawaye avaient reçu chacun une parcelle. Des lutteurs, des délégués de quartiers et des imams sont parmi les bénéficiaires.

Dans la commune de Yeumbeul Nord, près de 70 conseillers avaient reçu des parcelles suite au déclassement des 23,99 hectares. Les huit adjoints au maire Daouda Ndiaye, avaient bénéficié chacun de deux terrains de 150 mètres carrés chacun. Ses proches et personnes influentes qui évoluent dans le milieu religieux, la culture et la politique ont saisi cette opportunité pour bénéficier des parcelles alors que les 23,99 hectares devaient servir à caser les familles impactées par le projet de Restauration et de Régulation Foncières des quartiers de Bène Baraques. Cinq conseillères n’ont pas bénéficié de parcelles lors de la distribution. Selon une victime, c’est grâce à leur statut de femme qu’elles ont été lésées par Monsieur Ndiaye qui l’avait appelée à une heure tardive pour la demander de l’envoyer la copie de sa carte d’identité et de préparer des frais de bornage après l’affectation d’une parcelle. Depuis lors, elle attend. Conseillère avec Babacr Ndao, elle grade encore espoir. Puisque trois hectares sont encore à partager dans la commune de Yeumbeul Nord. Selon plusieurs conseillers municipaux, le maire Daouda Ndiaye n’avait convoqué aucune réunion du bureau municipal pour procéder à l’attribution des parcelles. Et aucune liste des bénéficiaires n’est encore disponible pour identifier les attributaires de parcelles dans cette commune.

Suite à nos enquêtes, nous avons introduit des demandes d’interview adressées à l’actuel maire de Yeumbeul Nord et conseiller municipal de l’équipe sortante (Babacar Ndao) et son prédécesseur (Daouda Ndiaye) et tenté de les joindre à plusieurs reprises (SMS, Whatsapp et appels) sans succès. Contacté pour fixer une rencontre avec le maire pour une interview, le chargé de communication du maire de Yeumbeul Nord nous répond : « Le Maire a déjà fait un point de presse sur ce dossier. Cette histoire est derrière nous. En aucun cas le Maire ne va revenir sur ce dossier qui dernière nous. Le Maire a sa vision, ses projets qu »il s’évertue à mettre en œuvre ».

Trois hectares sur les 23 sont aujourd’hui entre les mains du nouveau maire, Babacar Ndao. Quel sera le sort de ces parcelles ? Comment le maire va procéder pour répondre aux différentes sollicitations des habitants de sa commune qui sont dans le besoin ? Va-t-il favoriser les jeunes et personnes vulnérables au profit des opérateurs immobiliers et hommes politiques ? Wait and see.

La bande des filaos qui luttait contre l’érosion côtière, l’avancée de la mer, la pauvreté à travers le maraichage, est devenue aujourd’hui un réel danger pour les autochtones, les promoteurs immobiliers et les futurs occupants. Les propriétaires de ces zones risquent de subir des inondations à cause des mouvements de terrain, le déplacement du sable marin et la vente du sable par des charretiers pour la construction de bâtiments. « Si de façon combinée on détruit cette bande des filaos et on permet également aux charretiers de venir chercher des sables de dune et avec le phénomène du changement climatique, on fragilise la côte et il va de soi que dans les années à venir qu’il y ait d’énormes risques que la côte soit envahie par la mer », a soutenu l’ancien parlementaire, Mamadou DIALLO.

Selon Monsieur DIEYE, le déclassement de la bande des filaos va provoquer la perte des fonctions sociales, culturelles et phytopharmaceutiques (médecine traditionnelle) associées à la bande des filaos ; l’accélération du processus local de réchauffement climatique entrainant une augmentation des températures. « Guédiawaye étant une zone sablonneuse stabilisée naturellement par la bande de filaos, sa destruction entrainera une avancée de la mer qui érodera toutes les constructions anciennement protégées par la bande », a-ti-l soutenu.

A cause du déclassement, plusieurs maisons seront envahies par des îlots de sables, des vents forts qui pourront occasionner des maladies respiratoires, d’une part et la destruction des périmètres maraichers à cause de l’avancée des eaux salées et le risque de la naissance d’un biseau salé (intrusion d’eau saumâtre ou salée dans une masse d’eau), d’autre part.

« L’ensablement de la zone va également détruire les petits arbres, aucun puits de carbone ne va être épargné et la petite faune qui dépendait de cette flore sera perdue ; donc toute la biodiversité et les fonctions écologiques associées à celle-ci seront également perdues, a expliqué Monsieur DIEYE. La faune notamment les reptiles très dangereux tels que les serpents, les lézards se retrouvent de plus en plus dans les maisons à Guédiawaye et à Pikine à cause de la destruction de leurs habitats par ensablement, ce qui peut entrainer des attaques mortelles par morsures ».

Sur le plan international, le Sénégal avec le déclassement de la bande des filaos « risque de perdre sa crédibilité dans un contexte où tous les pays ont souscrit à l’accord de Paris sur le réchauffement climatique ». « Si la bande de filao est détruite et que l’information arrive au niveau international, le Sénégal perdra toute sa reconnaissance internationale, son image sera écornée et ses autorités n’auront plus de respect auprès de leurs pairs, car tous les pays du monde sont estimés de par leurs positions à préserver leurs arbres, leurs forêts, leurs ressources génétiques et surtout à la reconstitution des grands ensembles végétaux », a avertit le conseiller technique du MEDD.

Ce déclassement a produit des effets positifs pour les opérateurs immobiliers, des hommes d’affaires, au détriment des habitants qui vivent sous le seuil de pauvreté et n’ayant aucune perspective pour combattre ces personnes qui coupent des arbres pour leurs propres intérêts.

« Il faut arrêter ces séries de déclassements et s’il est possible de replanter là où on a détruit et que l’on peut récupérer, il faut le faire avec des espèces qui sont adaptées. Il faut arrêtez systématiquement les déclassements qui ne contribuent pas à protéger notre environnement. Sinon, on risque d’amener notre jeunesse dans des situations terribles. Aujourd’hui, il faut arrêter, franchement il faut arrêter pendant qu’il est encore temps. Les coûts sont beaucoup moindre en arrêtant aujourd’hui que demain s’il faut faire face à l’avancée de la mer. Ça serait dramatique. Parce qu’on ne peut pas arrêter la mer avec ses bras », a lancé Monsieur DIALLO.

Ceux qui restent et ceux qui viendront à coté du littoral, ne sentiront jamais le même cadre de vie qu’offrait la bande des filaos, il y’a de cela une dizaine d’années. Ils seront condamnés à subir d’importants dégâts à cause de l’agression de l’environnement. Les produits chimiques issus des constructions de bâtiments vont prendre le relai et altérer  par ricochet la biodiversité après la présidence de Macky Sall. Un eternel recommencement se dessine alors.

Par Oumar BA (weerbijournal@gmail.com)

  • Nos remerciements à l’IRD pour son soutien à la production de cette enquête

By Oumar

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