Monsieur Sidatt, Spécialiste Principal Développement du Secteur Privé, expert du groupe de la Banque Mondiale et du Centre International pour l’Entreprise Privé, soutient que le secteur privé et la main-d’œuvre locale ne sont pas encore prêts pour saisir les avantages du secteur du secteur extractif dans la sous-région. Il était l’invité de l’OSIDEA lors de la table ronde sur la gouvernance des industries extractives sur le thème : « quelles stratégies pour construire les passerelles de la transition énergétique autour de l’exploitation du pétrole et du gaz ». Il était paneliste sur les enjeux du contenu local et a animé des échanges sur la gouvernance de l’écosystème avec un accent particulier sur la responsabilité central du secteur privé. Le partage du GTA entre la Mauritanie et le Sénégal a fait remarquer sa participation et ses sorties fortes sur les exigences pour d’impact socio-économique du pétrole et du gaz avenir. Il a été notre invité pour parler de la Mauritanie de Dakar.
Le Contenu Local est un sujet à la une des discussions politiques. Dites-nous quel est la situation du contenu local en Mauritanie.
Il faut d’abord démystifier ce terme qui semble dire plusieurs choses à la fois ; en gros, on parle des retombés socio-économiques de l’exploitation des ressources naturelles sur les populations. Dans les contrats avec les opérateurs, nos pays reçoivent des revenues directement sous forme d’impôts ou de royalties. Ça va donner du souffle au budget de l’Etat afin de faire des routes, des écoles, des hôpitaux et les autres services publics nécessaires pour améliorer la vie des citoyens.
De l’autre côté, les entreprises qui exploitent vont faire des profits car elles sont là pour cela et c’est tout à fait légitime.
Le contenu local va permettre aux pays de puiser des retombés dans les budgets et profits des entreprises par le biais de la création d’emploi ainsi que l’utilisation d’entreprise national pour la fourniture de services et de produits pour les opérations dans le pays.
La complexité vient de 2 facteurs principalement a savoir d’un coté les exigences des standards des operateurs en termes de qualités, d’assurance et de délais, et de l’autre coté les faiblesses locales en termes d’éducation-formation mais aussi de tissu économique expérimenté et professionnalisé.
Nos Etats ont besoin de ressources donc veulent aller vite sur l’exploitation des ressources naturelles et doivent faire des compromis pour accommoder les entreprises ; mais nos populations souffrent et ne peuvent pas attendre d’être à niveau pour profiter des retombés. C’est un dilemme et la solution qui a été retenu est aller de l’avant avec les investissements tout en poussant en avant des politiques publiques axées sur les exigences de contenu local, accompagnées d’efforts en renforcement de capacité, de programme de mise à niveau des entreprises et d’amélioration de l’environnement des affaires.
Pour maintenant revenir à la situation de la Mauritanie en ce moment, elle est marquée par plusieurs activités impulsées par l’exploitation avenir du Gaz mais aussi l’expansion minière avenir ; une politique du contenu local est en cours d’élaboration pour encadrer et promouvoir l’action de l’Etat et des opérateurs ; un ensemble d’analyse a été effectué dans un cadre participative pour assurer le réalisme de l’action publique mais aussi permettre l’engagement responsable des parties. Enfin, l’Etat a consenti des ressources importantes aux secteurs de l’éducation, de la formation et plus récemment la promotion de l’emploi et le développement du secteur privé. Le travail de base a été fait maintenant il s’agit de son application et aussi de voir l’endurance des acteurs car le résultat demande du temps et de la qualité.
Pensez-vous que nous allons voir l’impact de ce contenu local dont nous parle autant dans un avenir proche ?
Je pense, au-delà d’être naturellement optimiste, que la Mauritanie et le Sénégal sont en train de faire de bonnes choses pour promouvoir le contenu local dans le secteur des industries extractives et que les résultats vont venir. En plus des investissements publics et des partenaires au développement, le fait même d’avoir des dispositifs de dialogue et d’engager les acteurs sur ce sujet est un pas dans le bon sens.
Maintenant, comme je l’ai dit a la conférence, il faut gérer les attentes. Nous avons pris le problème à l’ envers car nous ne sommes pas dans un mode proactif mais dans une réaction corrective avec des exigences, surtout dans l’éducation-formation, qui nécessitent des années.
On sait que la lutte contre chômage des jeunes est une priorité géostratégique pour nos pays. Est-ce que la main-d’œuvre locale est bien préparée pour tirer profit des marchés du secteur extractif ?
Le chômage est le résultat d’un ensemble de défis qu’il est important de comprendre afin de trouver des solutions et surtout s’inscrire dans l’approche ambitieuse mais réaliste dont on a parlé.
Il faut avoir en tête nos réalités en termes de volume de déperdition scolaire, de faible taux de réussites aux principaux examens et plus encore le niveau dans lequel est notre système d’éducation et de formation technique et professionnelle. Il y a énormément de spécialités qui demandent plusieurs années d’études, de l’expérience pratique et des certifications alors que nous lançons maintenant seulement ce processus. Il n’est jamais trop tard mais il faut savoir gérer les attentes et être réaliste sans pour autant être fataliste.
La question du chômage des jeunes cache donc une autre réalité importante qui est celle du stock de jeunes ayant quitté le système avec une faible éducation, sans aucune formation, aucune expérience professionnelle, dont beaucoup sont de nouveaux urbains donc sans culture de travail structuré. Pour ce groupe démographique important, près de 50% des jeunes, les autorités doivent donc suivre une logique de formation métier pour essayer de profiter des opportunités subalternes qu’offre le secteur extractif, avec une offre de formation de courte durée et plutôt pratique ; c’est une stratégie qui va soulager à court terme mais sans le levier d’intégration des cadres nationaux, elle va rapidement se transformer en frustration sociale difficile à gérer.
La bonne nouvelle, comme présenté aujourd’hui par BP avec la cinquantaine de jeunes mauritaniens et sénégalais en formation, les operateurs sont dans l’action et comprennent leur responsabilité a anticiper cette frustration sociale. C’est une attitude à saluer et montre que nous avons à faire a des firmes responsables. Pour autant, le foyer d’emploi est plutôt dans les niveaux 2, 3 et 4 de la chaine c’est-à-dire les contracteurs et les sous-traitants. Il y a la encore beaucoup de travail à faire car d’un cote ces entreprises sont sous-pression pour rendre les services selon le budget, les délais et les spécifications qualité exigeantes et, de l’autre coté elles doivent embaucher des nationaux pas toujours avec les aptitudes requises. Ce n’est pas facile mais c’est la que l’Etat doit agir avec la carotte, et si nécessaire le bâton !
Vous semblez moins optimiste quant au volet accès au marché des entreprises nationales, pourquoi ?
Je vous rappelle que je suis naturellement optimiste ; je pense que le travail à faire par le secteur privé national est plus compliqué et que le service public d’accompagnement est encore en gestation. C’est cela qui m’inquiète par rapport aux délais d’intégration du secteur privé national dans les chaines d’approvisionnement des firmes.
Encore une fois, si nous regardons avec attention notre secteur privé et l’économie de nos pays, nous allons voir des défis structurels profonds, une faible diversification, une dépendance des grandes entreprises aux marchés publiques, une faible productivité avec des lacunes en qualité récurrente, absence d’internalisation, les enjeux de compétitivité et j’en passe. Le tableau n’est pas beau mais on vient de loin et on avance. Le changement est entre nos mains et c’est plutôt à quelle vitesse il se fera qui m’inquiète car le secteur privé national captera ce marché tôt ou tard.
On a parlé du secteur extractif mais le focus a été GTA et BP. Doit-on attendre une transformation rapide de la Mauritanie avec la production du GTA ?
Le changement des conditions de vie des populations va dépendre de l’utilisation des redevances qui vont être données à l’Etat en premier lieu. Ce qui est sûr, quand on va commencer à pomper du pétrole à la fin de cette année ou début de l’année prochaine, il va y avoir un apport budgétaire supplémentaire pour l’Etat mauritanien et donc plus de ressources pour que l’Etat fasse des choses pour servir les populations.
S’il y a une bonne gestion des ressources, il y aura forcément des projets sociaux, des choses qui vont être faites pour les populations, qui vont immédiatement impacter leurs vies et avec un impact rapide, spécialement pour les populations les plus vulnérables notamment les gens en situation d’extrême pauvreté, les zones rurales ou dans des zones avec des incidences sérieuses.
Maintenant est-ce qu’on sera en capacité de bien gérer ces ressources ? C’est une question qui doit être posée et surtout aux décideurs politiques de l’heure. D’ailleurs l’objet de la discussion centrale de cette conférence sur le contenu local, ce n’est pas de savoir combien l’Etat gagnera, mais comment il va anticiper pour l’utilisation de ces ressources et quel levier de redevabilité doit-on avoir sur l’utilisation des ressources. Parce que si les populations ne savent pas combien l’Etat va gagner et les choix d’utilisation, personnes ne rendra compte.
A l’idée que la Mauritanie n’attend que le gaz du GTA pour devenir les Emirats ou l’Arabie, j’estime que c’est de l’utopie. Qu’avons-nous fait du poisson, du fer, de l’or et du cuivre ?
Il faut, quand même être optimiste et espérer que nos gouvernants vont faire de bons choix pour les populations. Pour l’instant ce dossier est sur une bonne trajectoire et rien ne fait penser a autre chose.
Mamoudou Darahmane Sy et Oumar BA