Maître de conférences assimilé en droit public à la faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Moustapha Fall a accordé une interview à la rédaction de Weer Bi à l’occasion de la 13ème session de formation sur la gouvernance des industries extractives organisée par le Centre d’Excellence sur la Gouvernance des Industries extractives (CEGIEAF) de l’Université Catholique d’Afrique centrale à Yaoundé du 15 au 26 juillet. L’ancien responsable des affaires juridiques de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives du Sénégal a soutenu que l’Etat a la possibilité de modifier sa législation nationale en instituant la taxation de superprofits ou de nouvelles redevances pour maximiser ses parts si les renégociations n’aboutissent pas.

Le président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, a annoncé quelques jours après son installation à la tête de la magistrature suprême, la volonté de procéder à la renégociation des contrats pétroliers et gaziers au Sénégal. Quelles sont ses motivations ?

La pratique africaine montre qu’à chaque fois qu’il y a un changement de régime ou une alternance, les nouvelles autorités ont tendance souvent à revoir les contrats qui ont été signés avant pour procéder à leur évaluation pour voir si les intérêts économiques de l’État sont sécurisés ou bien si les contrats conclus sont avantageux pour le pays. Alors, il est clair que les contrats négociés ont souvent des enjeux qui peuvent être d’ordre économique ou fiscal. Mais les enjeux sont souvent liés au partage équitable de la rente. Il est donc important de conditionner la renégociation à une évaluation des contrats signés et qui ne sont pas avantageux pour l’Etat d’un point de vue économique.

Il est loisible aux autorités de renégocierdans le sens de rééquilibrer ou bien derentabiliser, sécuriser les intérêts économiques de l’État en termes de retombées fiscales et socio-économiques.

Est-ce que la volonté du chef de l’Etat vaut dire que le pays n’à jamais profité des retombées de ses ressources extractives ?

Le pays a découvert du pétrole et du gaz et a démarré la production du pétrole avec le projet Sangomar. Ce qui est important à relever, c’est que quand on conclut un contrat, il reste tributaire des conditions économiques du marché et du cadre juridique et fiscal.. Il est clair que e le code pétrolier de 1998avait plus tendance à favoriser l’attractivité des investisseurs et était dans une logique de promotion du bassin sédimentaire mais également de permettre à l’Etat de mieux connaître son sous-sol. C’est ainsi que le code pétrolier 2019 intervient dans un contexte de découverte et sécurise mieux les intérêts économiques de l’Etat au profit des populations.

Il est clair qu’aujourd’hui le Sénégal est devenu un pays pétrolier et gazier et donc la logique doit changer. C’est une logique de production pour permettre à l’Etat de mieux approvisionner le marché local en termes de fournitures de l’électricité mais également de pouvoir approvisionner l’industrie et de développer les infrastructures socioéconomiques.

Avec le nouveau contexte lié à la volatilité des prix des matières premières et des prix , l’Etat doit adopter de nouveaux instruments lui permettant de maximiser ses parts dans l’exploitation des ressources extractives.

Le Sénégal a-t-il les ressources humaines et techniques nécessaires pour réussir son projet de renégociation des contrats ?

Il y a deux approches possibles pour la renégociation des contrats. Les contrats peuvent prévoir des clauses de renégociation et dans cette hypothèse il n’y a aucune difficulté, d’une part. La renégociation peut se faire sur la base du consentement des parties. Elle doit ainsi être de bonne foi et souvent ça peut porter sur quelques aspects du contrat. Par exemple, elle peut être liée à la fiscalité, aux coûts, à la commercialisation de la production. Les contrats gaziers peuvent contenir des clauses de révision des prix. Ils peuvent alors être négociés à cause d’un changement fondamental de circonstance ou d’un cas de force majeure

La renégociation peut-être de mauvais foi, d’autre part, parce qu’il peut y arriver souvent que l’une des parties ne soit pas d’accord sur le principe de la renégociation à cause des clauses de stabilisation. Les clauses de stabilisation constituent des dispositifs de protection de l’investisseur étranger et peuvent interdire souvent l’Etat de revenir sur certaines considérations économiques. Si la renégociation doit intervenir, elle doit avoir pour finalité que pour équilibrer le contrat. Si l’une des parties n’est pas d’accord à partir de ce moment la situation donne droit à l’autre partie de recourir à des mécanismes de règlement du différend qui est né de la non-acceptation. C’est là où le risque du contentieux apparait. Si l’Etat décide de manière unilatérale d’adopter des mesures en vue de la renégociation, cela peut être qualifié de l’expropriation parce qu’il est clairement admis dans la jurisprudence arbitrale que l’investisseur a droit à une stabilité et un traitement juste et équitable. Si les contrats prévoient ce mécanisme de stabilité, l’État doit garantir la stabilité juridique et fiscale.

En cas de manquements notés de la part de l’entreprise, l’État pourrait aussi procéder à une interprétation et prendre des mesures qui visent à protéger l’intérêt général et décider justement de procéder au rééquilibrage d’une manière ou d’une autre. Nous sommes dans un environnement international où il faut respecter les attentes légitimes de l’investisseur. L’idée pour l’État est d’éviter, dans ce cas, la renégociation de mauvaise foi.

La renégociation doit se baser sur un modèle de contrat qui doit protéger les intérêts de l’État, contenir les clauses qui sécurisent les droits de l’État. La Société nationale est un autre instrument de l’Etat. Ainsi, elle doit assumer le potentiel rôle de défense des intérêts de l’État.

Au-delà de ces instruments, il y a également l’équipe de négociation qui doit être une équipe pluridisciplinaire composée d’économistes, de géologues, de juristes mais également des financiers. Les processus de renégociation peuvent être longues c’est pourquoi il faut que l’État puisse d’abord connaître la valeur réelle de la ressource, les investisseurs, avoir un mandat clair de renégociation. Ce qui va permettre d’aller vite dans les négociations.

En renégociant les contrats, il faudrait que l’État parvienne à arrêter une doctrine très claire c’est-à-dire s’il s’agit d’une doctrine de nationalisme des ressources ou d’une doctrine de rééquilibrage. L’État doit éviter d’avoir un comportement illicite qui peut être qualifié de manquement. Le succès de la renégociation des contrats dépend des stratégies gouvernementales, de l’expertise de l’Etat, de son expérience du passé et dans l’industrie et même de sa connaissance des dispositifs législatifs.

Pour réussir ce projet, l’Etat ne doit pas limiter l’équipe des négociations à quelques experts. Il faudrait s’assurer que la cartographie des experts soit exhaustive et que cela ne soit pas l’affaire des géologues, ni l’affaire des juristes, encore moins d’économistes. Il faut combiner toutes les expertises et surtout insister sur l’évaluation et l’analyse des contrats qui ont été conclus dans le passé.

Par ailleurs, l’Etat doit insister sur l’existence d’un modèle financier des projets qui doit être analysé et audité. C’est ce modèle qui représente l’instrument stratégique en matière de renégociation. Si les autorités prennent le temps de bien peaufiner la stratégie, prennent le temps de bien évaluer les contrats qui ont été signés et de pouvoir également évaluer les coûts et les risques, la renégociation peut se faire et ça permettrait de pouvoir rapidement sécuriser les intérêts de l’État et maximiser les profits au bénéfice du peuple.

L’Etat a-t-il d’autres moyens pour maximiser ses profits si les renégociations des contrats n’aboutissent pas ?

Si les renégociations échouent, l’Etat peut tenter de modifier sa législation nationale. L’enjeu est de recourir à d’autres mécanismes tels que l’institution de nouvelles impositions, comme la taxation des superprofits ou l’introduction de redevances variables ou de nouvelles redevances. Parce que la fiscalité est aussi un autre instrument dont dispose l’Etat pour pouvoir mobiliser des ressources additionnelles. Il y a aussi la possibilité d’insérer ce qu’on appelle les clauses d’indexation c’est-à-dire de prévoir s’il y a une augmentation du prix du baril du pétrole que le prix du marché puisque être appliqué. L’État n’a que son pouvoir normatif pour accroître ses ressources. L’essentiel pour l’État, c’est de pouvoir justifier, motiver son intervention par un objectif d’intérêt général qui est la protection de l’intérêt national.

Est-ce que l’Etat peut adopter des mesures législatives  environnementales pour protéger les droits des communautés ?

La question environnementale est exclut du champ de la stabilisation. Aujourd’hui l’État est en droit d’adopter toutes les législations en matière environnementale et qui vont être appliquées par les compagnies. C’est-à-dire que les compagnies ne peuvent en aucun cas invoquer la stabilité pour se délier de leurs obligations environnementales.

Quel serait l’impact de la renégociation des contrats sur les communautés impactées par l’exploitation des ressources pétrolières et gazières ?

En proposant de renégocier les contrats, l’Etat essaye de maximiser ses parts. Il vise plus de revenus et ces derniers seront affectés au budget de l’État qui vise à financer le développement notamment les dépenses prioritaires, des investissements qui vont impacter les communautés locales. Aujourd’hui il y a des instruments qui peuvent impacter les communautés notamment le fond d’appui au développement local pour le secteur minier. Dans le domaine pétrolier, il n’y a pas encore de mécanismes qui visent directement les communautés mais il y a l’idée dans les clauses contractuelles avec les dépenses sociales qui doivent viser à soutenir les communautés. L’enjeu aujourd’hui, c’est que l’État puisse avoir suffisamment de revenus pour pouvoir financer les politiques publiques de développement.

Par Oumar Ba (weerbijournal@gmail.com)

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