Somda Adrien intervient en tant qu’expert en fiscalité dans le secteur extractif au Centre d’Excellence pour la Gouvernance des Industries Extractives en Afrique Francophone (CEGIEAF) dans le cadre de l’université d’été sur la gouvernance des industries extractives. Il présentait l’impact de la fiscalité sur les revenus générés par l’activité extractive. A l’occasion de la 13ème session organisée du 15 au 26 juillet 2024 à l’Université Catholique d’Afrique centrale (UCAC) de l’Institut Catholique de Yaoundé (ICY), il a accordé un entretien à la rédaction de Weer Bi. Dans cette interview, il invite les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) à adopter une nouvelle approche dans l’exploitation des minéraux de transition.
Le Burkina Fasso, le Mali et le Niger font désormais partie d’un bloc au niveau de la CEDEAO pour défendre leurs intérêts sécuritaires et économiques. Comment les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel doivent travailler pour tirer profit de leurs ressources extractives ?
La lecture de la géopolitique actuelle qui se redessine autorise à ce que ces trois Etats qui étaient considérés comme les plus pauvres, souvent les derniers, soient aujourd’hui au centre d’intérêt et de discussion sur le plan international. Parce qu’ils connaissent aujourd’hui une crise sécuritaire qui peut-être un facteur qui les poussent à revoir leurs stratégies de développement et d’exploitation des ressources naturelles et à redimensionner leurs relations.
Aujourd’hui, il y a de grandes décisions qui se prennent dans le secteur extractif. Certains pays ont déjà engagé des processus de renégociations des contrats. D’autres sont en train de revisiter leurs codes miniers, pétroliers et gaziers qui encadrent l’activité extractive pour maximiser leurs profits. En adoptant une nouvelle politique, une nouvelle stratégie, qui va les permettre d’insuffler une dynamique de développement, ces trois pays ne se trompent pas.
La communauté internationale a vivement critiqué certaines opérations qui sont dans les rapports de l’ITIE de ces pays. Elle a ainsi sanctionné ces Etats en soutenant qu’il y a un manque de transparence dans la gestion des ressources extractives.
Il faut relativiser. Il faut analyser ces opérations dans le cadre d’une stratégie de développement qui a été enclenchée dans ces pays. Le Mali a décidé d’implémenter une unité d’affinage d’or de très haut niveau. Le Burkina Fasso est en train d’emprunter le pas et d’interdire l’exportation de la production semi-mécanisée et artisanale d’or. Il a envisagé de racheter cet or afin de constituer des réserves.
La nouvelle stratégie de ces Etats va permettre d’éviter la fraude qu’on constate dans l’exploitation de l’or, qui finance une partie de la rébellion et qui profite aux États occidentaux qui blanchissent cet or.
Quand on retrace la destination finale de cet or qui s’offre de l’activité d’exploitation artisanale et semi-mécanisée, on se rend compte que la plupart des exportations de ces produits sont destinés vers la Suisse. L’analyse de ces éléments montre qu’il y a des mécanismes très sournois qui font perdre de l’argent à ces pays, le transfert des bénéfices des investissements étrangers, le phénomène des paradis fiscaux, la fraude fiscale. Il y a des comportements peu recommandables adoptés par les multinationales dans le secteur extractif de ces pays.
L’honnêteté intellectuelle des pays africains riches en ressources naturelles impose de prendre du recul et de regarder d’une autre manière, d’introduire de nouveaux paradigmes pour que les populations puissent bénéficier des richesses naturelles. Ces trois pays pauvres veulent changer de paradigmes et tout le monde leur tombe dessus, c’est bizarre.
Faudrait-il mettre fin aux exonérations de certaines charges fiscales pour augmenter les ressources budgétaires de ces pays ?
C’est une question complexe qui nécessite une approche très prudente qui doit se baser sur des éléments économiques tangibles. Il faut sortir de l’approche classique qui avait été conseillée pendant longtemps par les institutions de Bretton Woods et intégrer des valeurs économiques dans la relecture des contrats. Il faut que les départements en charge de gestion des ressources naturelles apprennent à renégocier les contrats sur la base d’un équilibre du partage de la rente minière.
Il ne faut plus accorder des exonérations, des avantages, parce que tout simplement on veut être incitatif, on veut attirer des investisseurs.
Avec la transition énergétique, quelle doit être la position de l’AES sur les minéraux critiques pour renforcer leur émergence ?
Pour aller vers des énergies propres et renouvelables, il faut l’utilisation de certains minéraux dits stratégiques. Certains pays riches en minéraux de transition ont déjà anticipé sur la gestion de ces ressources avec l’expérience sur l’exploitation des anciennes substances comme le fer, le manganèse etc.
Les mécanismes qui ont été mis en place doivent servir aux pays riches en minéraux de transition d’avoir une approche différente dans l’exploitation des ressources extractives. Beaucoup de pays occidentaux ont besoin de ces substances stratégiques. Il faut procéder à une énumération de toutes ces substances dans chaque pays et selon les potentiels de chaque pays pour pouvoir répondre à la demande des pays occidentaux.
Comme que le besoin des minéraux de transition se fait ressentir, il ne faut donc pas les gérer comme les autres ressources minières. L’exploitation des ressources minières en Afrique a montré qu’il n’y a pas eu de transfert des technologies, de transformation à grande échelle sur place. On a continué d’exporter des substances minérales à l’état brut. Il n’y a pas de valeur ajoutée.
Pour les substances dites de minéraux de transition énergétique, il faut soulever et susciter un débat pour adopter une nouvelle approche dans les pays membre de l’AES. Cette dernière ne sera plus basée sur la collecte de revenus en numéraire mais plutôt sur un retour de valeurs économiques, de formation de ressources humaines, de transfert de technologies, de transformation sur place de ces substances. C’est ce qui va être le meilleur gain en termes d’opportunités que la transition énergétique offre aux pays riches en ressources naturelles et en minéraux de transition.
Par Oumar Ba, weerbijournal@gmail.com