A Dakar, les femmes qui ont désormais accès à l’eau potable ont profité des branchements au réseau d’adduction urbain pour promouvoir leurs activités génératrices de revenus et consacré une bonne partie de leur temps qui était vers les années 1990 consacré à la recherche d’eau à d’autres tâches susceptibles d’améliorer leurs situations financières : un facteur de l’autonomisation économique des femmes.

Il est 17 heures et 31 minutes, à l’intérieur d’une blanchisserie à la cité Asecna en face de la route communément appelée « marché lundi » ou « Mbed Souf », une femme âgée de 24 ans repasse des habits sur une table. Habitante à la cité Marine de Yeumbeul Nord, Aicha Gueye quitte chaque matin avec son enfant de moins de deux ans son quartier de résidence pour assurer la lessive. Dans son entreprise, elle utilise fréquemment de l’eau de robinet comme input, qui est devenue accessible à toutes les bourses grâce aux efforts des pouvoirs publics pour son activité, même si le prix d’un litre d’eau est toujours élevé.

Aujourd’hui, la prospérité de son entreprise et comme beaucoup de ses consœurs ne dépend que de la disponibilité de cette matière première.

« L’eau est devenue accessible à tous les niveaux et à toutes les femmes qui l’utilise comme matière première. Ce qui facilite nos activités en réduisant son temps de recherche et son coût financier », a-t-elle expliqué.

Dans certaines localités dans la région de Dakar et dans la zone rurale, ceux qui n’ont pas de raccordement aux réseaux d’adduction d’eau potable dans leurs maisons utilisaient les eaux de pluie, de puits ou du fleuve pour s’alimenter à travers des charrettes ou d’autres moyens de transport. Ceux qui n’ont pas de montures font des milliers de kilomètres pour trouver de l’eau avec des bassines. Les principales victimes des disparités d’accès aux ressources hydrauliques sont souvent les femmes qui, dans plusieurs sociétés, sont considérées comme les seules qui doivent assurer certaines tâches ménagères, comme la restauration ou l’entretien de la maison, malgré leurs états physique et sanitaire.

Le Sénégal connaît depuis 1976 une nette croissance démographique. La population totale est passée de 4 958 085 en 1976 à 13 508 715 en 2013. En 2023, le 5ème Recensement général de la population et de l’habitat a estimé le nombre total à 18 032 473 personnes dont 49,4% (8 900 614) de femmes. Ces statistiques doivent davantage interpeller les pouvoirs publics sur l’utilisation optimale des ressources pour une meilleure satisfaction de la demande. Toute chose étant par ailleurs égale, l’augmentation de la population entraine l’augmentation de la demande en eau.

Graphique 1 : Evolution de la population sénégalaise de 1976 à 2023

Source : ANSD, RGPH-5, 2023

Pour réduire les difficultés dans l’accès à l’eau potable et lutter contre les maladies hydriques nées de l’usage de certaines eaux non traitées, l’Etat du Sénégal a fait des efforts en augmentant les ressources allouées au ministère en charge de l’eau. Résultat : une nette diminution de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable. Selon les statistiques du ministère de l’eau et de l’assainissement, le taux global d’accès à l’eau potable en milieu urbain a atteint les 100 % depuis 2021.

Graphique 2 : Evolution du taux d’accès global à l’eau potable en milieu urbain

Source : Enquête ménages ou Inventaire, DPPD 2020-2022

Les efforts du gouvernement se traduisent par la mise en œuvre de plusieurs projets et programmes dont le Programme d’Accès à l’Eau Potable (PAEP). Le PAEP, déclinaison programmatique de l’indicateur 6.1 de l’ODD6 de l’agenda 2030 et aligné à l’axe 2 du Plan Sénégal Emergent, met en œuvre la stratégie de renforcement et d’optimisation de l’approvisionnement à l’eau potable de toutes les catégories de population au-delà du clivage urbain/rural. Il s’appuie sur le développement et la sécurisation de l’accès à l’eau potable dans un contexte marqué par l’accroissement important de la demande en eau pour tous les usages du fait du croit démographique mais également de l’élargissement des activités économiques fortement consommatrices d’eau. Son objectif est d’atteindre l’accès universel à l’eau potable, d’ici 2025.

Tableau : Programme d’Accès à l’Eau Potable

Année202020212022
Crédits de paiement (FCFA)57 686 556 990149 749 512 593125 575 510 208
Source : DPPD 2020-2022

« On est passé de plus de 30 minutes à moins de 05 minutes pour avoir de l’eau avec les bornes fontaines et à moins d’une minute dans les maisons grâce aux réalisations de la Sen Eau. Cette situation était difficile pour les femmes qui devaient assurer la gestion de leurs foyers, préparer les enfants pour aller à l’école, a affirmé Aicha Gueye. L’eau, c’est l’économie. Les agriculteurs, les paysans, les artisans ont besoin de l’eau pour travailler et assurer leurs survies. Elle est indispensable pour le développement humain et l’émergence. »

Selon les Statistiques Eau et Assainissement (Enquête PEPAM), le taux de borne fontaine en 2014 est estimé à 7,37 % dans le milieu urbain contre 25,15 % en milieu rural. Pendant cette année, le taux global d’accès à l’eau potable était de 97,39 (urbain) et 84,37 en zone rurale. Aujourd’hui, l’accès à l’eau potable est à 100 % en milieu urbain (DPPD 2020-2022).

Sala Ba, 43 ans, est née et a grandi à Pikine, une localité dans la banlieue dakaroise dense et fréquentée par plusieurs familles pauvres et des ressortissants des pays frontaliers avec le Sénégal. Dans cette localité, elle a été témoin de l’histoire entre le quotidien des femmes et l’eau. D’une famille pauvre, elle habitait dans des maisons en location qui n’avaient pas de robinets encore moins de l’électricité. Comme toute fille et avec les pratiques patriarcales, elle était obligée, chaque matin, de trouver de l’eau avec des bassines au niveau des robinets « bour », bornes fontaines, pour remplir des canaries et réservoirs de plus de 100 litres. Elle faisait la queue tous les jours pendant plus de deux heures les matins.

Dans ces points de rassemblement, les populations ont à plusieurs reprises assisté à des scènes de bagarre entre des adolescentes et des personnes âgées, de batailles rangées et de violences verbales. « Une fois j’ai fait l’objet d’agression physique et j’ai été humiliée devant toute l’assistance. Mon récipient a été caché et mes cheveux coupés par une femme qui voulait saboter la queue et remplir son récipient avant moi. Ce jour là, j’ai failli mourir et abandonner tout, a-t-elle raconté. A Pikine, j’ai vécu l’enfer car je n’avais jamais eu de robinet dans nos différentes maisons ».

A Yeumbeul, le quartier qu’elle a rejoint à l’âge de 25 ans, Sala a eu la chance de trouver un robinet fonctionnel dans la maison familiale, propriété de ses parents. Ce qui lui a permis, ainsi que les membres de sa famille, d’oublier la précarité à Pikine et d’avoir une nouvelle vie mettant fin à 18 ans de souffrance due au manque d’eau potable.

« C’est à saluer. On ne perd désormais plus de temps et d’énergie pour avoir de l’eau, a-t-elle reconnu. Ces robinets ont renforcé l’autonomisation des femmes en renforçant leurs activités génératrices de revenus, en améliorant leurs situations financières parce qu’une femme qui a un robinet à la maison ne va plus perdre plus de deux heures pour avoir de l’eau et ce temps sera affecté à d’autres activités essentielles de la vie ».

Agée de plus de 75 ans, Adama Diaw est assise sur les pieds de l’escalier de l’entrée d’un bâtiment, R+1 de son fils, pour surveiller les marchandises de sa petite fille. Venue à la Cité Asecna il y a juste trois ans, elle a constaté une nette amélioration de l’approvisionnement en eau potable dans le pays. « Les choses ont évolué et les peines ont disparu aujourd’hui. Nos enfants ont été épargnés de la souffrance et de la négligence. Durant notre enfance au village, nous allions travail domestique, activités agricoles et la recherche d’eau. Nous faisions des kilomètres les matins et les soirs pour trouver de l’eau, a-t-elle raconté. Aujourd’hui tout a changé. Nous avons même des robinets dans nos salles de bain. L’accès a permis d’améliorer les conditions de vie des femmes et des populations ».

Adama Seck née en 1972 est une vendeuse de poissons. Elle habite à Yeumbeul depuis les évènements tragiques entre la Mauritanie et le Sénégal qui ont eu lieu entre 1989 et 1992. Pour trouver de l’eau, elle se levait vers deux heures pour se présenter au seul robinet du quartier. « Nous avions qu’un seul robinet dans le quartier. Il fallait se lever à deux heures du matin pour remplir un seul récipient d’eau. Des fois on rentrait sans pour autant pouvoir remplir une seule bassine à causes des tâches ménagères qu’on devait exécuter et qui ne pouvaient pas attendre. Au niveau des puits, il fallait aussi venir tôt le matin, à sept heures, pour être servi parmi les premières personnes », a-t-elle soutenu.

L’accès à l’eau a permis à Adama Seck et plusieurs femmes entrepreneures de gagner du temps, de faire des économies et de maintenir les emplois créés dans leurs entreprises. Ce qui a contribué à la lutte contre le chômage des jeunes et des femmes. Obligée de se lever tous les jours à cinq heures du matin pour aller au marché central au poisson de Pikine, elle passe à la maison, au retour, pour utiliser de l’eau de robinet afin de se laver et de changer ses habits avant d’étaler ses poissons au marché qu’elle a créé pour écouler ses marchandises. « C’est un gain de temps et d’énergie. L’eau nous permet de faire des économies et d’améliorer nos conditions de vie, a-t-elle précisé. Au paravent on dépensait plus de 15 000 FCFA par mois pour couvrir nos besoins en eau mais aujourd’hui, malgré l’augmentation de la consommation de l’eau nous arrivons à payer moins de 2 000 FCFA par deux mois ».

A Dakar, la gestion de l’eau potable est assurée par la SEN’EAU. L’entreprise gère l’exploitation et la distribution de l’eau potable en zone urbaine et péri-urbaine du Sénégal depuis le 1er janvier 2020. Elle a remplacé la Société des eaux, SDE. Parmi ses axes stratégiques : assurer l’accès à l’eau à tous et accompagner la carrière de tous notamment les jeunes et des femmes. Aujourd’hui, elle compte 863 159 clients, six usines de traitement d’eau de surface et neuf usines de traitement d’eau souterraine.

Cheffe du département développement durable de l’Université Alioune Diop de Bambey, Coura Kane a rappelé lors de la journée internationale des femmes que le manque d’eau a des répercussions sur l’éducation des enfants, la santé, relevant la fréquence des maladies causées par la mauvaise qualité de l’eau.

Les recherches récentes de l’Alliance de Bioversity International et du CIAT au Sénégal démontrent que l’augmentation des revenus des femmes dépend davantage du système d’approvisionnement en eau que celle des hommes (35 % contre 33 %).

Au Sénégal, les interventions de l’Office des forages ruraux ont permis de relever le nombre de forages à 2 126 en 2023. En 2022, l’Ofor a construit 84 nouveaux forages et fait état de 18 257 branchements sociaux sur l’étendue du territoire national.

Enseignante-chercheuse à la Faculté des Sciences juridiques et Politiques (FSJP) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Nogaye Ndour Niang salue les efforts qui ont permis aux citoyens d’avoir accès à l’eau potable et appelle les autorités à prendre en compte les inégalités sociales pour réduire les factures d’eau. « L’accès à l’eau est salutaire pour les citoyens et pour les femmes en particulier », a-t-elle dit.

Avec l’augmentation du taux d’inflation (5,9 % en 2023, ANSD), les femmes demandent à ce que les autorités puissent réduire le prix de la facturation et mettent en place une stratégie pour une discrimination positive pour les ménages dirigés par les femmes pour renforcer leurs résiliences économiques. Ce qui va renforcer la création de la valeur ajoutée et des emplois pour limiter le chômage et la pauvreté chez les femmes.

Par Oumar BA, weerbijournal@gmail.com

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