Le Sénégal a connu de profonds bouleversements liés à la gestion de l’environnement ces dernières années avec le déclassement de plus de 1 000 hectares de la bande des filaos entre 2018 et 2023. Pour lutter contre les conséquences et réhabiliter le littoral, les élus locaux du département de Keur Massar, l’État du Sénégal et leurs partenaires techniques et financiers ont mis en place un projet de restauration des filaos, de réhabilitation et de stabilisation des dunes au long du littoral.
Entre 2018 et 2023, l’État du Sénégal a procédé au déclassement de plus de 1 000 hectares de la bande des filaos du littoral. Les conséquences, si elles devaient être favorables aux populations qui ont été frappées par les inondations, d’une part, et impactées par le projet d’aménagement, de lotissement et d’équipements collectifs, d’autre part, risquent de créer dans les années à venir beaucoup de dégâts : un désastre environnemental et écologique.
Le 11 septembre 2018, Macky Sall (président de la République du Sénégal de 2012 à 2024) avait signé plusieurs décrets de déclassement de la bande des filaos. Il s’agit du décret n°2018-1738 du 11 septembre portant déclassement de 04ha 20a 00ca du périmètre de reboisement et de restauration des Niayes, zone de Cambarène, pour les besoins d’un lotissement administratif au profit de l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS), du décret n°2018-1739 du 11 septembre 2018 portant déclassement de 45ha 32a 64ca du périmètre de reboisement et de restauration des Niayes, zone de Malika, pour les besoins d’un lotissement administratif au profit de la communauté Layène et du décret n°2018-1740 du 11 septembre 2018 portant déclassement de 23ha 99a 95ca du périmètre de reboisement et de restauration des Niayes, zone de Malika, pour la réalisation d’un projet d’aménagement, de lotissement et d’équipements collectifs.

En juin 2021, le président de la république du Sénégal signe, à nouveau, un décret n°2021-701 du 4 juin 2021 portant déclassement de 150,58 hectares de la bande des filaos pour rendre exécutoire le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) de Guédiawaye. L’objectif : construction de différents équipements et logements. 43,92% de la superficie totale sont réservés à l’habitat ; 21,01% aux voiries et réseaux divers et 35% réservés aux équipements. Malgré la résistance des organisations de la société civile de Guédiawaye devant la Cour suprême, le combat contre la mise à mort de la bande des filaos n’a pas produit d’effets escomptés et poussé le chef de l’État d’alors à laisser les plantes jouer pleinement leurs rôles dans la lutte contre les changements climatiques, l’érosion côtière et l’avancée de la mer.
Moins de deux ans après, Macky Sall revient à la charge et continue son « funeste projet » de déclassement de la bande des filaos. Une initiative qui portera atteinte à la biodiversité et à l’environnement. La bande de filaos de Guédiawaye couvre une superficie de 5,18 km sur une superficie totale de la forêt classée de filaos de 180 km, de Cambérène dans le département de Dakar au sud de Saint-Louis. Le 5 avril 2023, il signe un autre décret portant déclassement de 826 hectares de la bande des filaos. Le décret n° 2023-813 autorise le défrichement d’une zone qui s’étend du rond-point Gadaye à Guédiawaye à Tivaouane Peulh, en passant par Yeumbeul Nord, Malika pour la construction de bâtiments.
Les déclassements de la bande des filaos, appréciés par les hommes d’affaires et certains élus locaux qui sont devenus des prédateurs fonciers, provoquent la rupture du fonctionnement des arbres et mettent fin au rôle régulateur des arbres. « Les grands arbres ont beaucoup de fonctions et d’utilité parmi lesquelles, le maintien d’une excellente stabilité climatique grâce à leur capacité d’absorption de C02 ; la sécurisation physique des terres pour la lutte contre l’érosion côtière et donc l’avancée de la mer, la protection des habitations contre les grands vents violents ; la protection des terres contre le phénomène de salinisation par une pénétration rapide des eaux salées vers le continent ; la fixation des dangereuses dunes de sable (…) », a rappelé Pathé Dieye, Conseiller technique à la Direction nationale de l’Environnement et des Etablissements classés (DEEC) du Ministère de l’Environnement, du Développement Durable et de la transition écologique.
Selon Monsieur Dieye, la bande des filaos mettait à la disposition du littoral des services écosystémiques essentiels (services d’approvisionnement de ressources alimentaires, services de régulation climatiques, services culturels et les services de soutien génétique). « Avec les séries de déclassement, elle a perdu progressivement ses capacités à réguler l’environnement », a-t-il souligné.

Plantée en 1948, la forêt classée, qui avait mobilisé beaucoup de ressources financières de l’Etat et de ses partenaires techniques et financiers, permettait de fixer les dunes de sable et protéger la population de l’érosion côtière. Cette bande a longtemps été utilisée par les acteurs du maraîchage pour la culture des fruits et légumes. Des agriculteurs utilisaient cette zone pour des activités génératrices de revenus. Avec les déclassements, ils ont perdu progressivement leurs moyens de subsistance et se sont retrouvés aujourd’hui dans des situations difficiles et parfois les amènent à tenter l’émigration irrégulière.
« On ne peut que regretter, à chaque fois qu’il y a des déclassements des forêts classées d’autant plus que la bande des filaos, le long de la côte, a coûté énormément d’argents à l’État du Sénégal », a lancé Mamadou Diallo, le Secrétaire général de l’Association Sénégalaise des Amis de la Nature, une organisation non gouvernementale qui lutte pour la protection de l’environnement.
Vu les conséquences néfastes sur l’économie informelle et l’environnement, des jeunes ont organisés des manifestations et interpellé les autorités pour dénoncer l’agression du poumon vert de Dakar. Des organisations de la société civile et de la jeunesse de la banlieue avaient attaqué en justice, le 4 aout 2021, le décret n°2021-701 du 4 juin 2021. Déposée devant la Cour suprême par les coordonnateurs du Forum civil/Guédiawaye, de l’Action Jeunesse et Environnement (AJE), de Jeunes Volontaires pour l’Environnement (JVE) et du collectif «Aar Sunu Littoral» contre l’Etat du Sénégal, cette requête a été rejetée.
Alioune Dieng est né en 1989 et a grandi à Hamo 3 (quartier de Guédiawaye en face du littoral). De son enfance, il ne voyait que la bande verte qui représentait une barrière entre l’océan et les habitations de son quartier et les protéger contre la brise de mer. L’avancée de la mer et l’érosion côtière exposent, désormais, les habitants du quartier et autres zones proches du littoral. « Avant les années 2000, il y avait une très grande distance entre notre maison et la mer. Aujourd’hui, nous avons constaté que la mer a considérablement avancé et nous nous sommes retrouvés à moins de 100 mètres de l’océan. Ce qui nous expose davantage à des conséquences du déclassement de la bande verte », a-t-il raconté.
L’ Association sénégalaise des Amis de la Nature et plusieurs acteurs de la protection de l’environnement avaient saisi vers la fin des années 1980 l’ancien président sur les agressions de la bande des filaos. « Nous avions alerté le chef de l’État, le président Abdou Diouf (ndlr : 1981-2000). Il avait pris des mesures idoines pour arrêter et stopper ces gens qui étaient animés par la boulimie foncière et qui voulaient occuper cette bande des filaos, a rappelé le Secrétaire général de l’Association sénégalaise des Amis de la Nature. En détruisant cette bande des filaos, en y mettant des infrastructures, on expose les populations à l’avancée de la mer et aux embruns marins. (…) Avec l’avancée de la mer, Il y a de fortes chances que nous perdions une bonne partie des infrastructures routières ».
Selon le site d’information Seneweb, le déclassement avait permis de servir une clientèle de privilégiés. 320 conseillers municipaux sortants des cinq communes et de la ville de Guédiawaye avaient reçu chacun une parcelle. Des lutteurs, des délégués de quartiers et des imams ont également reçu des terrains.

Dans la commune de Yeumbeul Nord, près de 70 conseillers avaient reçu des parcelles suite au déclassement des 23,99 hectares. Les huit adjoints au maire Daouda Ndiaye (2014-2022), avaient bénéficié chacun de deux terrains de 150 mètres carrés chacun, selon son ancien collaborateur, bénéficiaire d’un des terrains déclassés à Gadaye, qui a requis l’anonymat. Les proches du maire et personnes influentes (religieux, politiques etc.) ont saisi cette opportunité pour bénéficier des parcelles alors que les 23,99 hectares devaient servir à caser les familles impactées par le projet de Restauration et de Régulation Foncières des quartiers de Bène Baraques à la construction d’infrastructures socioéconomiques.
A Yeumbeul Nord, seules cinq conseillères n’ont pas bénéficié de parcelles lors de la distribution. Selon une victime, le maire Daouda Ndiaye l’avait contactée pour la demander de l’envoyer la copie de sa carte d’identité et de préparer des frais de bornage après l’affectation d’une parcelle. Depuis lors, elle attend. Actuelle conseillère municipale (2022-2027), elle grade encore espoir. Puisque trois hectares sont encore à partager dans la commune de Yeumbeul Nord. Selon plusieurs conseillers municipaux, le maire Daouda Ndiaye n’avait convoqué aucune réunion du bureau municipal pour procéder à l’attribution des parcelles. Et aucune liste des bénéficiaires n’est encore disponible pour identifier les attributaires de parcelles dans cette commune.
Suite à nos enquêtes, nous avons introduit des demandes d’interview adressées à l’actuel maire de Yeumbeul Nord et conseiller municipal de l’équipe sortante (Babacar Ndao) et son prédécesseur (Daouda Ndiaye) et tenté de les joindre à plusieurs reprises (SMS, Whatsapp et appels) sans succès. Sollicité pour fixer une rencontre avec le maire pour une interview, le chargé de communication, Cheikh Ndong, du maire de Yeumbeul Nord (Babacar Ndao) nous répond : « Le Maire a déjà fait un point de presse sur ce dossier. Cette histoire est derrière nous. En aucun cas le Maire ne va revenir sur ce dossier qui est derrière nous. Le Maire a sa vision, ses projets qu »il s’évertue à mettre en œuvre ».
Trois hectares sur les 23 sont aujourd’hui sur la table du nouveau maire, Babacar Ndao. Quel sera le sort de ces parcelles ? Comment le maire va procéder pour répondre aux différentes sollicitations des habitants de sa commune qui sont dans le besoin ? Va-t-il favoriser les jeunes et personnes vulnérables au profit des opérateurs immobiliers et hommes politiques ? Ces questions restent jusqu’à présent sans réponse puisque la mairie n’a pas accepté de répondre à nos différentes sollicitations.
La bande des filaos qui luttait contre l’érosion côtière, l’avancée de la mer, la pauvreté à travers le maraîchage, est devenue aujourd’hui un réel danger pour les autochtones, les promoteurs immobiliers et les futurs occupants. Les propriétaires de terrains et maisons dans ces zones risquent de subir des inondations à cause des mouvements de terrains, le déplacement du sable marin et la vente du sable par des charretiers pour la construction de bâtiments. « Si de façon combinée on détruit cette bande des filaos et on permet également aux charretiers de venir chercher des sables de dune et avec le phénomène du changement climatique, on fragilise la côte et il va de soi que dans les années à venir qu’il y ait d’énormes risques que les occupants de la côte soient envahis par la mer », a soutenu l’ancien parlementaire, Mamadou Diallo.
Selon Monsieur Dieye, le déclassement de la bande des filaos va provoquer « la perte des fonctions sociales, culturelles et phytopharmaceutiques (médecine traditionnelle) associées à la bande des filaos ; l’accélération du processus local de réchauffement climatique entrainant une augmentation des températures« . « Guédiawaye étant une zone sablonneuse stabilisée naturellement par la bande de filaos, sa destruction entraînera une avancée de la mer qui érodera toutes les constructions anciennement protégées par la bande », a-t-il soutenu.
A cause du déclassement, plusieurs maisons seront envahies par des îlots de sables, des vents forts qui pourront occasionner des maladies respiratoires, d’une part et la destruction des périmètres maraichers à cause de l’avancée des eaux salées et le risque de la naissance d’un biseau salé, d’autre part.
« L’ensablement de la zone va également détruire les petits arbres, aucun puits de carbone ne va être épargné et la petite faune qui dépendait de cette flore sera perdue, a expliqué Monsieur Dieye. La faune notamment les reptiles très dangereux tels que les serpents, les lézards se retrouvent de plus en plus dans les maisons à Guédiawaye et à Pikine à cause de la destruction de leurs habitats par ensablement, ce qui peut entrainer des attaques mortelles par morsures ».
Délégué de quartier de Hamo 3, Mbaye Babacar Cissé vit depuis 1985 à Guédiawaye à côté de l’océan atlantique. « On avait trouvé ici une forêt dense. Avec la déforestation, nous avons subit beaucoup de dégât et nous sommes assis sur une bombe qui peut exploser à tout moment. L’avancée de la mer a commencé à nous envahir. Les populations risque dans 20 à 30 ans de connaître les mêmes conséquences que celles enregistrées à Bargny et à Rufisque », a-t-il expliqué.
Dans plusieurs quartiers du littoral, les habitants sont obligés de repeindre leurs mûrs ou de changer certains équipements pour restaurer leurs formes. « Ces travaux de réfection récurrents nous coûtent extrêmement chers. Ceux qui n’ont les moyens sont obligés de vendre leurs maisons et d’aller ailleurs », a ajouté Monsieur Cissé.
Sur le plan international, le Sénégal avec le déclassement de la bande des filaos « risque de perdre sa crédibilité dans un contexte où tous les pays ont souscrit à l’accord de Paris sur le réchauffement climatique ». « Si la bande de filaos est détruite et que l’information arrive au niveau international, le Sénégal perdra toute sa reconnaissance internationale, son image sera écornée et ses autorités n’auront plus de respect auprès de leurs pairs, car tous les pays du monde sont estimés de par leurs positions à préserver leurs arbres, leurs forêts, leurs ressources génétiques et surtout à la reconstitution des grands ensembles végétaux », a avertit le conseiller technique du ministère de l’environnement.
Ce déclassement, tant décrié par les acteurs de la protection de l’environnement, est bénéfique pour les opérateurs immobiliers, des hommes d’affaires, au détriment des habitants et locataires qui vivent sous le seuil de pauvreté et n’ayant aucune perspective pour combattre ces personnes qui coupent des arbres pour leurs propres intérêts. « Il faut arrêter ces séries de déclassements et s’il est possible de replanter là où on a détruit et que l’on peut récupérer, il faut le faire avec des espèces qui sont adaptées. Il faut arrêtez systématiquement les déclassements qui ne contribuent pas à protéger notre environnement. Sinon, on risque d’amener notre jeunesse dans des situations terribles (…) il faut arrêter pendant qu’il est encore temps. Les coûts sont beaucoup moindre en arrêtant aujourd’hui que demain s’il faut faire face à l’avancée de la mer. Ça serait dramatique. », a lancé Monsieur Diallo.
Ceux qui restent et ceux qui viendront à coté du littoral, n’auront jamais le même cadre de vie qu’offrait la bande des filaos du littoral, il y a de cela une dizaine d’années. Ils seront condamnés à subir d’importants dégâts à cause de l’agression de l’environnement. Les produits chimiques issus des constructions de bâtiments et autres infrastructures vont prendre le relai et altérer par ricochet la biodiversité. Un éternel recommencement se dessine alors.

AJE traîne l’État du Sénégal à la barre
L’association Action pour la Justice Environnementale (AJE) avait introduit le 7 juin 2023 une requête pour l’annulation du décret N°2023-813 du 5 avril 2023 approuvant et rendant exécutoire le Plan d’Urbanisme de Détails (PUD) de la bande de Yeumbeul Nord, Malika, Tivaouane Peulh, déclassant une partie de la zone couverte par le PUD d’une superficie de 826 hectares, prescrivant l’immatriculation au nom de l’État des sites non encore immatriculés, situés dans la zone déclassée et créant les Zones d’Aménagement concertée (ZAC) de Tivaouane Peulh et de Keur Massar.
La deuxième chambre administrative de la Cour suprême a rejeté, le 2 septembre 2024, le recours de l’AJE à cause de l’absence d’agrément de l’association lui permettant d’agir en justice pour demander l’annulation du décret attaqué. « Pour la première fois dans le domaine de l’environnement, la justice prend le temps de faire des investigations sur une affaire environnementale. Malheureusement, nous avons été déboutés par la justice avec des arguments fallacieux parce que la bande des filaos est accaparée par les mêmes juges (ndlr : décret n°2018-1738 déclassant plus de quatre hectares au profit de l’Union des Magistrats du Sénégal) et des familles des religieux », a expliqué Lamine Diagne, Directeur Exécutif de l’Action pour la Justice environnementale.
Lors du procès, plusieurs organisations de la société civile (OSC) et des communautés ont fait une grande mobilisation pour soutenir l’AJE. « Ce qui est important et symbolique dans cette affaire, c’est la grande mobilisation des organisations de la société civile et des communautés pour marquer leur désaccord et plaidé en faveur de la protection de la bande des filaos », a ajouté Monsieur Diagne.
Avec l’élection de Bassirou Diomaye Diakhar Faye en mars 2024, les acteurs de la protection de l’environnement au Sénégal avaient beaucoup d’espoirs mais leur revendication n’a pas encore été prise en compte. « Même si l’AJE n’a pas gagné le combat contre l’Etat du Sénégal, c’est déjà un pas pour montrer qu’il y a une rupture et qu’il est possible pour les OSC d’ester en justice contre l’Etat », s’est félicité Boubacar Tamba, journaliste spécialisé sur l’environnement et le secteur extractif.
Littoral nord de Keur Massar : Une solution voit le jour

Dans les communes de Yeumbeul Nord et de Malika, deux collectivités du département de Keur Massar prises en otage par l’érosion côtière et l’avancée de la mer après les séries de déclassement, un acte citoyen et d’une grande portée est engagé par le service des eaux et forêts, Chasse et Conservation des Sol, les élus locaux en partenariat avec l’Agence espagnole de Coopération internationale pour le Développement (AECID). « Keur Massar est une zone vulnérable. S’il y a de l’imperméabilité et de l’urbanisation galopante, la proximité avec la mer, on est obligé, pour lever cette vulnérabilité, de mettre en place des actions de reboisement et de reforestation et qui peuvent produire des résultats de façon urgente. Le reboisement et la plantation donnent beaucoup plus de résultats pour lutter contre les changements climatiques », a expliqué le Commandant Seynabou Diop Fall du service des Eaux et Forêts, Chasses et Conservation des Sols de Keur Massar.

Le projet de réhabilitation et de Stabilisation des dunes sur la côte Nord de Keur Massar cible les communes de Malika et de Yeumbeul Nord, les plus touchées par le déclassement de la bande des filaos. Il va permettre de replanter 12 îlots verts le long du littoral sur une superficie de quatre (4) kilomètres sur une durée de deux ans (2024-2025). « Ils vont permettre de lutter contre l’avancée de la mer et l’érosion côtière qui sont en train de détruire des habitations, des plantations et des infrastructures de transports à Keur Massar », a soutenu Boubacar Dione, Directeur des Eaux et Forêts, Chasse et de la Conservation des sols.
Financé par l’AECID à hauteur de 350 000 euros ( 227 500 000 F CFA), le projet va promouvoir la résilience de la population de Keur Massar face au changement climatique, de restaurer sur le plan environnemental le système dunaire du littoral nord de Keur Massar mais aussi de promouvoir la collaboration institutionnelle, l’éducation et la sensibilisation environnementale dans les communes de Yeumbeul Nord et de Malika.
Les espèces plantées depuis 2021 dans les six îlots sont entretenus par des agents de la Direction des Eaux et Forêts, Chasses et Conservation des Sols, des volontaires des deux communes engagés dans le cadre du programme Xeyu Ndaw Ni, programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socioprofessionnelle des jeunes. « Ces plantes vont lutter contre les changements climatiques, la pollution atmosphérique issue de la décharge de Mbeubeuss », a souligné Babacar Gueye, président du Conseil départemental de Keur Massar
L’objectif général du protocole d’accord signé le 24 octobre entre les autorités locales de Keur Massar, la Direction des Eaux et Forêts, Chasse et Conservation du Sol est de permettre à toutes les parties prenantes de participer à la gestion inclusive pour la restauration et la protection du système dunaire du littoral. Avec cette convention, les collectivités territoriales participeront aux journées de sensibilisation et la formation des délégués de quartiers, des relais communautaires, des groupements de femmes et des associations de jeunes sur l’importance de l’aménagement des îlots verts, de pépinières communales.
Le projet va permettre d’intégrer la commune dans le cadre du projet de foresterie urbaine avec des reboisements dans les quartiers, les écoles et les axes routiers. Il vient renforcer l’initiative des eaux et forêts mise en place depuis 2021 pour la reforestation du littoral et qui a déjà produit des résultats.
Des formations pour des femmes et des jeunes sur la gestion des pépinières sont prévues dans le cadre du projets. Les communautés locales pourront maîtriser les techniques de la mise en place de pépinières, les techniques de rempotage et d’arrimage et de repiquage et la collecte, le trie et le sélection de semences de qualité.

Le projet de réhabilitation va générer, au delà de l’aspect environnemental, des emplois verts pour les jeunes et les femmes dans les deux communes cibles. Il pourra lutter contre le chômage et l’émigration irrégulière dans ces communes de la banlieue dakaroise et sera un exemple pour les autres localités impactées par la déforestation. A Malika, la municipalité a mis à la disposition des femmes deux hectares pour la mise en place de pépinières. Les Groupements d’intérêt économique qui s’activent dans ces pépinières ont déjà commencé à faire des productions de fruits et légumes, créer de la valeur ajoutée et des emplois.
Seynabou Diop Fall : « Nous avons eu un taux de réussite de 98% avec les premiers îlots verts »

Depuis 2021, les services des Eaux et Forêts s’activent au niveau du littoral pour la restauration de la bande des filaos. Au début, la mise en place des îlots verts de 200 mètres carrés entrait dans le cadre du projet Green Cities, financé par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO). Avec les premiers résultats enregistrés, les Espagnols, après avoir visité les îlots, ont finalement décidé de financer l’extension du projet à hauteur de 227 500 000 FCFA pour une durée de deux ans. L’objectif est de développer 12 îlots sur 800 mètres carrés chacun à Dakar.
Pour comprendre les motivations du service des Eaux et Forêts et les différentes parties prenantes, la rédaction a eu un entretien avec le Commandant Seynabou Diop Fall, Cheffe de secteur des Eaux et Forêts de Keur Massar. Maître d’œuvre du projet, Madame Fall a soutenu que la direction des Eaux et Forêts a enregistré un taux de réussite de 98% avec les premiers îlots verts de 200 mètres carrés. Elle invite à cette occasion les populations des zones impactées par les déclassements de la bande des filaos à s’approprier du projet pour la réhabilitation de la bande verte et la lutte contre les changements climatiques.
Oumar Ba : Comment est née cette initiative ?
Seynabou Diop Fall : L’initiative des îlots verts est née en 2021 avec la création du nouveau secteur des Eaux et Forêts de Keur Massar. Nous avons commencé à mettre en place ces îlots grâce à l’appui de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) dans le cadre du projet Green Cities. Nous avions commencé avec des surfaces beaucoup plus réduites, 200 mètres carrés.
Les Services des Eaux et Forêts avaient commencé à valoriser, à restaurer certains sites depuis 2017 dans le département de Pikine. Nous avions vu que les reboisements sur les grandes superficies ne produisaient pas beaucoup de résultats. Nous avions des taux de réussite qui tournaient autour de 2 à 3%. Les résultats étaient assez décevants. Nous nous sommes appuyés, après, sur nos différents échecs pour voir quelle stratégie mettre en place pour continuer à restaurer les zones impactées par la déforestation. C’est ainsi qu’on a initié deux (2) îlots de 200 mètres carrés, financés par le projet Green Cities. L’objectif était de maximiser nos efforts sur de toutes petites surfaces et si ça marche, on va les démultiplier dans les autres zones.
Cette stratégie a eu des résultats probants. Après les performances enregistrées, nous avons commencé, avec nos propres moyens (Eaux et Forêts) à multiplier les îlots. Nous avons ainsi mis en place six nouveaux îlots verts de 200 mètres carrés chacun.
Comment avez-vous réussi à convaincre l’AECID de l’Espagne pour financer le projet de restauration des dunes de sable dans la zone de Keur Massar Nord ?
Nous avons eu la visite de l’Agence espagnole pour la coopération internationale au développement (AECID) pour constater les premiers succès des îlots verts. Ils ont été séduits par les résultats. Ils ont ainsi décidé de mettre en place un projet de grande envergure avec l’accompagnement du Conseil départemental qui est le point d’ancrage du projet sur le plan institutionnel. Ils ont alors décidé de mettre à notre dispositions 227 500 000 FCFA pour couvrir 12 îlots verts de 800 mètres carrés chacun sur deux ans.
Nous ne voulions pas seulement s’arrêter à un projet de reverdissement ou de restauration des dunes et consacrer toutes nos énergies au littoral. Nous avions organisé des activités de reboisement dans les édifices publics et dans les axes routiers avant la fin du projet Green Cities.
Pour mieux s’approprier du projet, il faut l’engagement de la population via les collectivités, il faut que quelqu’un s’engage à assurer l’entretien au-delà de la durée de vie du projet. C’est pourquoi nous sollicitons auprès des collectivités territoriales un accompagnement pour assurer la pérennité des opérations de restauration et de réhabilitation des côtes avec les îlots verts.
De 2021 à 2024, avec les premiers îlots verts, quel a été votre taux de réussite ?
Au début, c’était une grande expérience. On avait envie d’essayer une autre méthode en nous basant sur nos échecs et on a eu des taux de réussite qui avoisinaient les 98% avec les îlots verts de 200 mètres carrés. Ces résultats ont renforcé notre engagement et ont poussé l’AECID à mobiliser des ressources financières pour la mise en œuvre du projet à Keur Massar.
Quel est l’objectif fixé avec les Espagnols ?
D’ici 2025, on a un objectif de 12 îlots. C’est-à-dire six îlots par année. Avec ce projet, nous avons élargi la surface des îlots. Nous sommes aujourd’hui à 800 mètres carrées.
Quelles sont les espèces qui seront plantées dans le cadre du projet ?
Le filao est l’espèce la plus représentative dans le cadre du projet. C’est l’espèce qui s’adapte bien dans les conditions du littoral. Nous avions la possibilité d’utiliser d’autres espèces mais elles auront des croissances assez lentes et l’objectif de restauration ne sera pas atteint.
Avec ce projet, il y a une petite expérience que nous sommes en train de tester. L’étude de faisabilité a déjà été faite pour voir si on peut introduire d’autres espèces. Les cocotiers, les palmiers washingtonia entre autres qui sont fixatrices et qui peuvent s’adapter ont été identifiés et seront plantés dans les différents îlots. On est en train de faire de la recherche en même temps.
Avez-vous déjà trouvé des partenaires pour cette recherche ?
Nous n’avons pas encore trouvé de partenaires comme des centres de recherche ou de laboratoires mais c’est une opportunité qu’on doit exploiter. Nous sommes en train de voir s’il est possible de recruter un étudiant en Master ou en thèse pour suivre l’évolution du projet ou voir le comportement des différentes espèces pendant les deux ou trois années à venir. Et ça peut être intéressant pour les autres activités de restauration qu’on peut faire dans le littoral allant de Dakar à Saint Louis.
Est-ce que vous êtes en collaboration avec les autres services de l’Etat comme la grande muraille verte ou la Direction de l’environnement et des établissements classés ?
On était seul sur le terrain depuis le début. On ne travaille sur le plan institutionnel qu’avec le Conseil départemental de Keur Massar. On doit essayer d’harmoniser nos actions surtout par rapport au littoral. On voit beaucoup d’initiatives et beaucoup d’associations qui œuvrent pour la protection de la bande des filaos. Il y a beaucoup de personnes qui sont en train de travailler sur une loi concernant le littoral et qui ne savent pas que le service des Eaux et Forêts est en train de faire quelque chose. Il faut une harmonisation de nos activités pour que l’effet soit beaucoup plus probant et qu’on ait des résultats extraordinaires.
Il n’y a que la direction des Eaux et Forêts qui travaille aujourd’hui pour la restauration de la bande des filaos. Le projet est mis en œuvre dans une zone qui est classée, qui est sous la tutelle de la direction des Eaux, Forêts, Etablissements classés et Chasse. Même si c’est la seule direction qui a les compétences, il faut que l’ensemble des forces vives travaillent ensemble pour protéger le littoral, améliorer les conditions de vie des populations qui vivent à côté du littoral.
Nous avons d’autres partenaires, les particuliers et les populations impactées, les associations de quartiers, les délégués de quartiers. Pour optimiser les résultats, il est nécessaire de renforcer la sensibilisation et la communication entre les différents acteurs de la protection de l’environnement.
Oumar Ba (weerbijournal@gmail.com / barouba90@gmail.com)