La décharge de Mbeubeuss érigée sur une superficie de plus de 115 hectares entre les communes de Malika et de Keur Massar Nord dans le département de Keur Massar, dans la banlieue dakaroise, accueille depuis les années 1970 des ordures de la région de Dakar. Ces dernières années, plus de 2 000 récupérateurs y trouvent leurs comptes et participent de manière efficace à la création de la valeur ajoutée. Parmi eux, des filles à bas âge qui sont toujours élèves ou ayant abandonné l’école dans les cinq dernières années.

Le plus grand dépotoir d’ordures de l’Afrique de l’Ouest est devenu un danger réel pour l’éducation des filles qui habitent dans les communes du 46ème département du Sénégal. Au-delà de son aspect dévastateur de l’environnement, la décharge de Mbeubeuss participe à la déperdition scolaire des jeunes filles. Puisqu’elle permet à des centaines d’enfants de trouver des emplois et de tirer des revenus mensuels de plus de 150 000 FCFA.

A l’entrée de la décharge de Mbeubeuss, une fille mince, de teint noir et âgée de moins de 15 ans tient une termosse (récipient) contenant du café touba et un seau de beignets. Son objectif : trouver un moyen de transport pour rallier la plateforme de l’UCG située à l’intérieure de la décharge de Mbeubeuss pour écouler ses produits. Nous l’interpellons par la demande d’une tasse de café afin d’ouvrir une discussion. Quelques minutes un camion s’arrête devant nous. Elle se dirige vers la portière pour monter sans succès et retourne à sa position initiale. Quelques mètres après, le chauffeur s’arrête pour embarquer des garçons et nous et la petite fille en profitons pour monter à bord de la benne à ordure.

Au cours du voyage, elle explique en quelques mots son activité. Après quelques questions sans réponses, nous nous rendons compte qu’elle n’était pas à l’aise. Conséquences : elle descend en premier et nous laisse continuer notre chemin.

Arrivé à destination, nous sortons notre portable pour prendre des photos des récupérateurs en actions et subitement un garçon de taille courte et de teint clair nous interpelle en criant « il prend des photos ». Heureusement, les bruits des engins n’ont pas permis aux individus encagoulés et enturbannés de lui entendre et nous en profitons pour se rapprocher de lui pour l’expliquer le contraire. Mais le petit n’a pas voulu comprendre et a finalement extirpé le portable pour le manipuler et le confisquer sous notre regard impuissant. Nous arrivons à lui convaincre de nous remettre le portable, en acceptant ses conseils pour quitter tranquillement le lieu.

Au cours du voyage-retour, nous rencontrons plusieurs filles en train de vendre des fruits, sachets d’eau aux acteurs de la récupération.

Le président de l’Organisation non Gouvernementale Alphabétisation pour le Développement de l’Enfant soutient que la décharge de Mbeubeuss présente plusieurs avantages aux populations qui vivent à côté et particulièrement aux jeunes filles.

« La décharge est une opportunité d’emplois. L’ordure est devenue aujourd’hui une richesse. C’est un lieu de débauchage (des enfants, Ndlr) qu’il faudrait replacer en lien de socialisation par le biais de la formation, de l’insertion et de l’accompagnement. Dans le cycle de la gestion des déchets, il est possible de créer des métiers, former des gens pour qu’ils puissent travailler et gagner dignement leurs vies », a expliqué Mor Diakhaté.

L’accès à la décharge de Mbeubeus est facilité par l’absence de clôture sur toute la superficie. C’est pourquoi les enfants entrent sans contrôle. Ceux qui arrêtent les camions ne jamais inquiétés car le transport des enfants par n’est pas interdit. La décharge devient ainsi propice à la déscolarisation des enfants et de filles et va à contresens des orientations des institutions mondiales et régionales.

Le travail des enfants est condamné par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme en son article 26 qui affirme que  » toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire (…) ». La charte Africaine des droits de l’homme et des peuples en son article 17 et la Déclaration sur les Droits et le Bien-être de l’enfant Africain (article 11 insistent sur le caractère obligatoire de l’éducation.

Avec les crises économiques et sanitaires qui ont augmenté la pauvreté et le chômage, plusieurs familles sénégalaises n’arrivent plus à couvrir tous les besoins alimentaires de leurs enfants. C’est pourquoi la décharge de Mbeubeuss a enregistré ces dernières années une nette augmentation d’individus évoluant dans la récupération. Certaines femmes viennent avec leurs enfants pour leurs soutenir par exemple dans la restauration. Ces enfants finissent par abandonner l’école à cause des absences et la baisse des performances dans les classes.

Au Sénégal, près d’un enfant âgé de 07 à 14 ans sur 09 (8,4 %) a déjà abandonné l’école, selon l’Enquête nationale sur le Travail des Enfants (2005). Par rapport aux garçons, les filles sont les plus touchées par les abandons scolaires. Bien que bénéficiant de plus d’offres en matière d’instruction, les enfants résidant en milieu urbain en général et à Dakar en particulier sont plus touchés par la déperdition scolaire comparés à ceux résidant en milieu rural. Le niveau de l’analphabétisme est fortement corrélé au degré d’urbanisation. Pour une moyenne nationale de 65 % d’analphabètes, le taux d’analphabétisme à Dakar est estimé à 35 %.

Conscient de l’importance de l’investissement en matière d’éducation dans le développement, le Sénégal consacre 40 % de son budget de fonctionnement au secteur éducatif. Cependant, la capacité de rétention du système scolaire demeure relativement faible au Sénégal.

Alphabétisation pour Développement de l’Enfant est une Organisation non Gouvernemental qui travaille pour la protection des droits de l’enfant et des filles. Basée à Malika, une commune du département de Keur Massar, Alphadev a mis en œuvre plusieurs projets dans la banlieue dakaroise et dans les zones rurales afin de réintégrer les enfants dans la société. Elle travaille pour la formation des enfants et leur réinsertion socioéconomique.

« La formation doit être adaptée aux réalités locales. Si un dispositif de formation est mis en place avec un dispositif adapté, il sera possible de valoriser ce potentiel, de le rendre positif et de permettre aux jeunes filles et aux jeunes enfants de pouvoir gagner dignement leurs vies », a affirmé son Directeur Exécutif.

Le Sénégal a ratifié le 31 juillet 1990, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. A travers cette ratification, le Sénégal reconnaît que l’enfant est titulaire de droits ainsi que le besoin impérieux de protéger l’enfant et de lui assurer dans la mesure du possible la survie et le développement. Au niveau national, il a mis en place la Stratégie nationale de protection de l’Enfant (SNPE) qui vise à mettre en place d’un écosystème national intégré de la protection de l’enfant et l’appui de la promotion d’un changement social positif.

Selon le rapport du Recensement Général de Population, de l’Habitat, de l’Agriculture et de l’Elevage, le Sénégal compte 2 852 983 apprenants dont 170 351 (6,0 %) au préscolaire, 1 521 572 (53,3 %) au primaire, 701 577 (24,6 %) au moyen, 321 799 (11,3 %) au secondaire et 137 684 (4,8 %). Le milieu urbain consacre 57,3% de l’effectif des apprenants.

Au niveau du primaire, les filles scolarisées sont au nombre de 771.804 ce qui est plus que les garçons qui sont au nombre de 749769.  Cette supériorité demeure au cycle moyen avec une différence de 1815 filles de plus que les garçons scolarisés. Ce n’est qu’au cycle secondaire que la tendance s’inverse. Le nombre de garçons scolarisés au secondaire étant de 175.849 et le nombre de filles de 145.950.

Deux ans après l’érection de Keur Massar en département, la société civile composée de plusieurs structures de la protection de l’enfant dont Alphadev et l’Education pour le Développement de l’Enfant –EDEN- et les autorités étatiques ont installé le Comité départemental pour la Protection de l’Enfant (CDPE) pour une meilleure prise en charge de la problématique de l’exploitation de l’enfant. Malgré ses différentes interventions, le CDPE de Keur Massar est toujours confronté aux problèmes de la décharge de Mbeubeuss et de la forêt classée de Mbao.

Au Sénégal, les enfants travaillent le plus souvent dans le commerce, les activités agricoles, dans le secteur informel et dans le travail domestique. On estime aujourd’hui à environ 1.378.724 enfants (soit 36,7%) travailleurs, selon l’Enquête nationale sur le Travail des Enfants (ENTES, 2005). Les garçons représentent 43,1 % tandis que les filles, 30,2 %. Dans la capitale sénégalaise, le travail des enfants représentent 11,1 %.

Présidente de la section féminine de l’Association Bokk Diom, qui réunit près de 2 000 récupérateurs de la décharge de Mbeubeuss, Adja Diop a commencé à fréquenter la décharge de Mbeubeuss en 1996, après l’accident de travail de son père en 1991 et l’accouchement de sa mère de deux jumelles en 1992. En 1996, après le rappel à Dieu de sa mère et l’une des jumelles, son travail devient sérieux. A la décharge, elle récupérait des bois de chauffage et des emballages des bouillons qu’elle va revendre par la suite. Ses recettes lui permettaient d’acheter du lait pour nourrir le bébé et soutenir son père pour l’acquisition de médicaments.

Maîtrisant bien la structure de la décharge puisqu’elle a déjà effectué plus de trois décennies à Mbeubeuss, Adja Diop fait le portrait des filles trouvées sur place. « Ce sont des enfants dont leurs parents n’arrivent plus à couvrir les besoins alimentaires de la famille et qui veulent des habillements de luxes et des téléphones, comme les enfants des riches. Elles viennent, à la descente, à la décharge de Mbeubeuss pour vendre du café-touba, des fruits, des sachets d’eau, des cacahuètes de jus pour financer leurs propres besoins et soutenir leurs parents qui sont dans le besoin », a-t-elle expliqué.

Les vendeuses d’eau gagnent parfois plus de 5 000 FCFA par jours et leurs recettes augmentent pendant les fêtes et les grandes vacances puisqu’elles auront beaucoup plus de temps. Elles achètent un sachet d’eau contenant 30 sachets de 50 FCFA à 7 00 FCFA et le revendent à 1 500 FCFA. C’est cette opportunité qui les pousse à mettre fin à leur parcours scolaire très tôt pour continuer à opérer au niveau de la décharge en affrontant les dangers sanitaires et ceux liés à l’exploitation de leurs corps.

Face aux différents problèmes, Adja Diop fait tout pour que ses enfants ne puissent pas avoir un accès à la décharge de Mbeubeuss. Pour elle, la pauvreté monétaire des chefs de ménage est à l’origine du travail de ces enfants et l’échec scolaire.

Plusieurs chercheures soutiennent les enfants sont employés sur le marché du travail à cause de la pauvreté de leurs parents. Rodgers, G et Standing, auteurs de « les rôles économiques des enfants dans les pays à faible revenue », document de travail publié 1981 par le Revue internationale du travail avancent que les enfants ne peuvent pas fréquenter l’école lorsque les parents sont pauvres.

Au Sénégal, les résultats de l’Enquête Harmonisée sur les Conditions de Vie des Ménages (EHCVM 2018/2019) montrent que l’incidence de la pauvreté individuelle au Sénégal est de 37,8% selon l’approche basée sur le seuil de pauvreté national (ANSD, juin 2020). Suite aux impacts de la pandémie du Coronavirus et la guerre en Ukraine, il est possible que le taux de la pauvreté ait enregistré une forte hausse.

Kandioura DRAME, membre du Laboratoire de Recherches Economique et Monétaire (LAREM) de la Faculté des Sciences économiques et de Gestion de l’UCAD avait analysé en 2014 les déterminants du travail des enfants au Sénégal. Ses résultats montrent que le travail des enfants affecte négativement la scolarité, la santé et le développement de l’enfant, et influence le type d’activité et le niveau de vie auquel il aura accès à l’âge adulte. Il affecte aussi le développement économique du pays en réduisant la capacité d’accumulation du capital humain.

Les crises économiques et sanitaires et la guerre entre la Russie et l’Ukraine ne cessent d’agir négativement sur les conditions des vies des populations. Dans le département de Keur Massar, les habitants rencontrent sont confrontés à un manque d’infrastructures éducatives, sanitaires et l’absence d’un plan d’assainissement.

Les eaux de pluie sont devenues, depuis 2005, l’un des facteurs aggravant la situation économique de la localité. Les inondations sont récurrentes et beaucoup de dégâts.

Le 46ème département ne compte qu’une seule case des tout-petits. C’est pourquoi la mise en œuvre de la Stratégie nationale de Protection de l’Enfant s’articulant autour de la mise en place d’un système nationale de protection et l’appui au changement social positif et sa promotion rencontre beaucoup de difficulté dans les six communes du département. Le Comité départemental de Protection de l’Enfant mis en place, il y’a moins d’un an, risque aussi de connaître le même sort que la SNPE.

Malgré les efforts déployés depuis 2012, Keur Massar n’arrive toujours pas à sortir du gouffre. C’est pourquoi, il est important de mettre en œuvre des moyens financiers et techniques importants pour maintenir au mois les enfants et les filles à l’école (car l’éducation des enfants est un droit) pour améliorer le capital humain et par ricocher impulser à long terme le développement de cette cité.

Encadré

Près de 20 fœtus ramassés à la décharge de Mbeubeuss

La décharge de Mbeubeuss reçoit chaque jour plus de 3500 tonnes de déchets provenant de la région de Dakar. Elle accueille également des fœtus et des mort-nés.

Conçue pour accueillir des ordures ménagères et assimilées, la décharge de Mbeubeuss fait office parfois de cimetière des fœtus à ciel ouvert malgré le travail de veille et de contrôle des autorités sécuritaires du pays. Depuis 1968, plusieurs camions ont amené des centaines de bébés, fœtus et mort-nés à la décharge.

Âgé d’une cinquantaine d’année, Hamidou Diop a rejoint la décharge de Mbeubeuss en 1985. Il a assisté à plusieurs reprises au ramassage de fœtus. Il a même eu à mettre en terre un fœtus qu’il a ramassé lorsqu’il cherchait de la ferraille et de plastiques. « Un jour, j’ai récupéré un fœtus dans un état critique qui était dans un camion français. Je l’ai enterré derrière mon parc. Les récupérateurs déclarent souvent ces cas dans la décharge de Mbeubeuss », a-t-il témoigné avec regret.

Monsieur Diop a soutenu que les auteurs de ces forfaits ne sont pas de la décharge mais des femmes qui habitent dans les communes loin de la décharge de Mbeubeuss.

ICP au Daara Malika (Keur Massar), Mamadou Lamine Camara a travaillé pendant 13 ans avec les récupérateurs de la décharge de Mbeubeuss. Avant de quitté la structure sanitaire dédiée aux soins des travailleurs de la décharge, il a enregistré près de 20 fœtus ramassés dans un état critique.

« J’ai ramassé 18 fœtus, des bébés qui sont emballés dans des sachets avec l’appui de la police et des sapeurs-pompiers », a-t-il confirmé.

Selon Monsieur Camara, Il est difficile de rester un mois sans enregistrer de décès liés aux accidents causés par des bennes à ordures, bulldozers, altercations ou agressions.

Plus de 2000 récupérateurs travaillent dans cette décharge quotidiennement et génèrent plus de 20 000 000 de FCFA par jour.

Par Oumar BA (weerbijournal@gmail.com)

By Oumar

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