A Dakar, l’accès à l’eau potable a renforcé l’autonomisation des femmes et amélioré l’éducation et la santé de leurs enfants.
Selon le rapport provisoire du 5ème Recensement Général de la Population et de l’Habitat (2023), 94,5% des ménages en milieu urbain utilisent l’eau potable pour se ravitailler contre 82,6% en milieu rural. A Dakar, 74,2% des ménages utilisent le robinet dans le logement comme principale source d’approvisionnement en eau de boisson. Cette situation a joué un rôle important dans l’amélioration des conditions de vie des femmes et par ricochet l’éducation et la santé des enfants dans la capitale sénégalaise.
Enseignante-chercheuse à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Nogaye Ndour Niang a salué les efforts qui ont permis aux citoyens d’avoir accès à l’eau potable et amélioré les conditions de vie des femmes. « L’accès à l’eau est salutaire pour les citoyens et pour les femmes en particulier d’autant plus qu’il renforce l’autonomisation économique des femmes », a-t-elle dit.
Il est 17 heures et 31 minutes, à l’intérieur d’une blanchisserie à la cité Asecna « Aicha Wash laverie » en face de la route communément appelée « Mbed Souf » et qui abrite le marché hebdomadaire de la zone « marché lundi », une femme âgée de 24 ans repasse des habits sur une table. Habitante à la cité Marine de Yeumbeul Nord, Aicha Gueye quitte chaque matin avec son enfant de moins de deux ans son quartier de résidence pour travailler. Dans son pressing, elle utilise une grande quantité de l’eau de robinet comme input, qui est devenue accessible à toutes les bourses grâce aux efforts des pouvoirs publics pour son activité.
L’accès à l’eau : un facteur de productivité des femmes
Aujourd’hui, la prospérité de son entreprise et comme beaucoup de ses consœurs ne dépend que de la disponibilité de cette matière première. « L’eau est devenue accessible à tous les niveaux et à toutes les femmes qui l’utilisent comme matière première dans leurs entreprises et dans leurs ménages. L’eau de robinet renforce notre productivité, réduit le temps de travail et les dépenses de production », a-t-elle expliqué.

Un panneau publicitaire de « Aicha Wash ». Crédit photo : Oumar Ba
Dans la ville de Dakar, ceux qui n’avaient pas accès à l’eau potable dans leurs maisons utilisaient les eaux de puits ou des pompes « diambars » pour s’alimenter. Les principales victimes étaient les femmes qui, dans plusieurs sociétés, sont considérées comme les seules qui doivent assurer certaines tâches ménagères, comme la restauration ou l’entretien de la maison.
D’après le rapport Unicef/OMS publié en juillet 2023, 1,8 milliard de personnes dans le monde vivent dans des ménages ne disposant pas de points d’eau à domicile. Dans sept (7) foyers concernés sur 10, les femmes et les filles âgées de 15 ans ou plus sont les principales responsables de la collecte de l’eau. En comparaison, cette tâche incombe à leurs homologues masculins dans trois (3) foyers sur 10. Les filles âgées de moins de 15 ans (7 %) sont également plus susceptibles que les garçons de la même tranche d’âge (4 %) d’assurer la collecte de l’eau. Au Sénégal, 2,4% des ménages en milieu urbain passaient au moins 30 minutes pour collecter de l’eau en 2019, selon le rapport sur la Situation économique et Sociale du Sénégal sur l’eau et l’assainissement, édition 2019 (SES 2019).
L’indisponibilité de l’eau potable a toujours été un fardeau chez les femmes à Dakar comme dans les autres localités du pays. « On est passé de plus de 30 minutes à moins de 05 minutes pour avoir de l’eau avec les bornes fontaines et les puits à moins d’une minute dans les maisons grâce aux réalisations des autorités. Cette situation était difficile pour les femmes qui devaient assurer la gestion de leurs foyers, préparer les enfants pour aller à l’école, a affirmé Aicha Gueye. L’eau, c’est l’économie. Les agriculteurs, les paysans, les artisans ont besoin de l’eau pour travailler et assurer leurs survies. Elle est indispensable pour le développement humain et l’émergence. »
Le Sénégal connaît depuis 1976 une nette croissance démographique. La population totale est passée de 4 958 085 en 1976 à 18 032 473 d’habitants en 2023 dont 49,4% de femmes, selon le RGPH-5. En 2050, la population sénégalaise sera de 35 millions et la capitale comptera près de 5,9 millions d’habitants.
Graphique : évolution de la population sénégalaise entre 1976 et 2023

Source : ANSD-RGPH-5 et visualisation de Oumar Ba
Avec le GTE, 11 millions de personnes, de plus, auront accès à l’eau en 2050
La croissance démographique interpelle les pouvoirs publics sur l’utilisation optimale des ressources minérales et l’anticipation pour une meilleure satisfaction de la demande. Toute chose étant par ailleurs égale, l’augmentation de la population entraine l’augmentation de la demande en eau. C’est dans cette perspective que les autorités ont lancé en octobre 2024 le projet de Grand Transfert d’Eau (GTE) du Lac de Guiers vers Dakar, Mbour Thiès et Touba. L’objectif est de fournir de l’eau potable à près de cinq millions de personnes après sa mise en service et 11 millions à l’horizon 2050.
« L’accès sécurisé à l’eau est un droit humain fondamental », avait déclarait, lundi 3 février à Louga, le premier ministre sénégalais Ousmane Sonko lors du lancement de la phase II du Projet d’approvisionnement en eau potable en milieu rural.
Pour renforcer l’accès à l’eau potable dans la région de Dakar à l’horizon 2025, l’AFD avait soutenu la construction d’une usine de traitement de l’eau potable à Keur Momar Sarr d’une capacité de production de 100 000 m3/jour ainsi que celle de réseaux de distribution. Cette initiative devait assurer 85 000 branchements sociaux et l’accès à l’eau potable à 680 000 personnes suplémentaire.
Les projets et programmes du gouvernement et de ses partenaires techniques et financiers entrent dans le cadre de la réduction des difficultés dans l’accès à l’eau potable. Ils sont par ailleurs élaborés pour lutter contre les maladies hydriques nées de l’usage de certaines eaux non traitées et qui touchent souvent les enfants et soulager les femmes. Au Sénégal, en milieu urbain, la collecte d’eau était assurée par des femmes-adultes à hauteur de 80,4%, selon le rapport SES 2019.
Sala Ba, 43 ans, est née et a grandi à Pikine, une localité dans la banlieue dakaroise dense et fréquentée par plusieurs familles pauvres et des ressortissants des pays frontaliers avec le Sénégal. Dans cette localité, elle a été témoin des difficultés rencontrées au quotidien par les femmes à la recherche de l’eau. D’une « famille pauvre », elle habitait dans des maisons en location qui n’avaient pas de robinets encore moins de l’électricité. Comme toute fille et avec les pratiques patriarcales, elle était obligée, chaque matin, de trouver de l’eau avec des bassines au niveau des robinets publics « bour », bornes fontaines, pour remplir des canaries et réservoirs de plus de 100 litres. Elle faisait la queue tous les jours pendant plus de deux heures les matins.
Dans ces points de rassemblement, les populations ont à plusieurs reprises assisté à des scènes de bagarre entre des adolescentes et des personnes âgées, de batailles rangées et de violences verbales. « Une fois j’ai fait l’objet d’agression physique et j’ai été humiliée devant toute l’assistance. Mon récipient a été caché et mes cheveux coupés par une femme qui voulait saboter la queue et remplir son récipient avant moi. Ce jour là, j’ai failli mourir et abandonner tout, a-t-elle raconté. A Pikine, j’ai vécu l’enfer car je n’avais pas accès à l’eau dans nos différentes maisons ».

Une table de Sala Ba pour la vente de vaisselles. Crédit photo : Oumar Ba
A Yeumbeul, le quartier qu’elle a rejoint à l’âge de 25 ans, Sala, vendeuse de vaisselles, a eu la chance d’avoir accès à l’eau dans la maison familiale, propriété de ses parents. Ce qui lui a permis, ainsi que les membres de sa famille, d’oublier la précarité à Pikine et d’avoir une nouvelle vie mettant fin à 18 ans de souffrance due au manque d’eau potable. « C’est à saluer. On ne perd désormais plus de temps et d’énergie pour avoir de l’eau, a-t-elle soutenu. Ces robinets ont renforcé l’autonomisation des femmes en renforçant leurs activités génératrices de revenus, en améliorant leurs situations financières parce qu’une femme qui a un robinet à la maison ne va plus perdre plus de deux heures pour avoir de l’eau et ce temps sera consacré à d’autres activités productives qui peuvent créer de la valeur ajoutée ».
Agée de plus de 75 ans, Adama Diaw est assise à l’entrée d’un bâtiment, R+1 de son fils, pour surveiller les marchandises de sa petite fille. Venue à la Cité Asecna il y a juste trois ans, elle a constaté une nette amélioration de l’approvisionnement en eau potable à Dakar. « Les choses ont évolué et les peines ont disparu aujourd’hui. Nos enfants ont eu de la chance. Durant notre enfance, nous allions travail domestique, activités agricoles et la recherche d’eau. Nous faisions des kilomètres les matins et les soirs pour trouver de l’eau, a-t-elle raconté. Aujourd’hui tout a changé. Nous avons même des robinets dans nos salles de bain. ».
Adama Seck née en 1972 est une vendeuse de poissons. Elle habite à Yeumbeul depuis les évènements tragiques entre la Mauritanie et le Sénégal qui ont eu lieu entre 1989 et 1992. Pour trouver de l’eau, elle se levait vers deux heures pour se présenter au seul robinet du quartier. « Nous avions qu’un seul robinet dans le quartier. Il fallait se lever à deux heures du matin pour remplir un seul récipient d’eau. Des fois on rentrait sans pour autant pouvoir remplir une seule bassine à causes des tâches ménagères qu’on devait exécuter et qui ne pouvaient pas attendre. Au niveau des puits, il fallait aussi venir tôt le matin, à sept heures, pour être servi parmi les premières personnes », se souvient-elle.
L’accès à l’eau a permis à Adama Seck et plusieurs femmes entrepreneures de faire des économies et de se consacrer à leurs activités. Ce qui a contribué à la lutte contre le chômage chez les femmes. Se levant tous les jours à cinq heures du matin pour aller au marché central au poisson de Pikine, elle passe à la maison, au retour, pour se laver et changer ses habits avant d’étaler ses poissons au marché qu’elle a créé pour écouler ses marchandises. Ce qui était impossible, il y a une dizaine d’années. « C’est un gain de temps et d’énergie. L’eau nous permet de faire des économies et d’améliorer nos conditions de vie, a-t-elle précisé. Au paravent on dépensait plus de 15 000 FCFA par mois pour couvrir nos besoins en eau mais aujourd’hui, malgré l’augmentation de la consommation de l’eau nous arrivons à payer moins de 2 000 FCFA par deux mois ».

De retour au marché au poisson, Adama Seck étale ses marchandises. Crédit photo : Oumar Ba
L’accès à l’eau accroit les revenus des femmes de 35%
A Dakar, la gestion de l’eau potable est assurée par la SEN’EAU. L’entreprise gère l’exploitation et la distribution de l’eau potable en zone urbaine et péri-urbaine du Sénégal depuis le 1er janvier 2020. Elle a remplacé la Société Des Eaux, SDE. Parmi ses axes stratégiques : assurer l’accès à l’eau à tous et accompagner la carrière de tous notamment les jeunes et des femmes.
Cheffe du département développement durable de l’Université Alioune Diop de Bambey, Coura Kane a rappelé lors de la journée internationale des femmes 2024 que le manque d’eau a des répercussions sur l’éducation des enfants, la santé, relevant la fréquence des maladies causées par la mauvaise qualité de l’eau.
Selon un article de Africa Renewa, le système d’approvisionnement en eau peut accroître les revenus des femmes de 35% contre 33% chez les hommes.
Avec une augmentation des prix du « logement, eau, électricité, gaz et autres combustibles » de 0,8% en février 2025 (ANSD), les femmes demandent aux autorités de subventionner le prix de l’eau et de mettre en place une stratégie pour une discrimination positive pour les femmes pour renforcer leurs résiliences économiques, la santé et l’éducation des enfants. Ce qui va renforcer la création de la valeur ajoutée et des emplois et limiter le chômage et la pauvreté chez les femmes à Dakar.
Mamadou Moustapha KAMARA : « l’accès à l’eau potable réduit la transmission de maladies »
Economiste, Statisticien et Spécialiste en planification et suivi évaluation, Mamadou Moustapha KAMARA est chercheur à l’Ecole doctorale des Sciences juridiques, Politiques, Economiques et de Gestion (EDJPEG) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Dans cette interview, le chercheur au Laboratoire d’Analyse des Politiques Economiques et Sociales (LAPES) soutient que l’accès à l’eau potable peut réduire les maladies hydriques, lutter contre les violences basées sur le genre et améliorer le bien-être des femmes.

Oumar Ba : Le taux d’accès à l’eau potable en milieu urbain a enregistré ces dernières années une hausse. Qu’est-ce qui l’explique ?
Effectivement, le Sénégal a enregistré des progrès importants en matière d’accès à l’eau potable. En effet, selon les données du RGPH-5 de l’ANSD, le taux d’accès à l’eau potable est estimé 90,1% et plus de 80% des ménages sénégalais disposent d’un robinet à domicile pour s’approvisionner en eau en 2023 contre seulement 38% en 2002. Ce chiffre est encore plus important en milieu urbain, où plus de neuf ménages sur 10 disposent d’un robinet à domicile. Cette performance est d’abord expliquée par les innovations dans le secteur de l’eau potable, avec beaucoup de réformes, dont la première génération a démarré en 1995. Ensuite, d’importants investissements ont été réalisés par les différents gouvernements. De 1996 à 2023, le Sénégal a investi plus de 776 milliards FCFA dans son système d’approvisionnement en eau potable. Les zones urbaines, précisément le triangle Dakar-Mbour-Thiès ont plus bénéficié de ces investissements. Les PTF ont aussi joué un rôle important. A titre d’exemple, entre 2007 et 2022, 312 projets d’accès à l’eau et à l’assainissement ont été réalisés par les acteurs français au Sénégal représentant un total d’un peu plus de 65 millions d’euros (chiffres de l’AFD).
Quel est l’impact de cette évolution sur les conditions de vie des femmes ?
Cette situation agit positivement sur l’autonomisation et le bien-être des femmes et en particulier celles des zones rurales qui s’approvisionnaient à partir de puits et de bornes-fontaines. En effet, c’est aux femmes qu’incombe en général la corvée de l’eau, ce qui les oblige à parcourir de longues distances pour se rendre à pied à la source d’eau la plus proche de leur domicile. Cette tâche quotidienne limite l’accès des jeunes filles à l’éducation et réduit les opportunités économiques des femmes, puisque ces heures passées à la corvée de l’eau se font au détriment d’heures qu’elles pourraient passer sur les bancs de l’école ou à développer une activité génératrice de revenus. Par ailleurs, sans eau potable, les femmes sont exposées à de graves infections, qui sont l’une des cinq premières causes de mortalité maternelle. Et pour finir, chaque pas que fait une fille pour collecter de l’eau la met en danger. Globalement, la situation contribue au maintien des filles à l’école, à la réduction des violences basées sur le genre, à l’amélioration du bien-être, de la santé et l’autonomisation des femmes.
L’accès à l’eau potable a-t-il une influence sur la santé et l’éducation des enfants ?
Selon l’Organisation mondiale de la Santé, chaque année, 1,8 million d’enfants de moins de cinq ans meurent de maladies provoquées par une eau insalubre dans le monde, soit un enfant qui meurt toutes les 20 minutes. Les progrès réalisés par le Sénégal en matière d’accès à l’eau potable ont réduit la transmission de maladies fréquentes chez les enfants tels que la diarrhée, le choléra, la dysenterie, la fièvre typhoïde. Cela a contribué à la baisse de la mortalité infanto-juvénile (décès survenus avant le cinquième anniversaire), qui est estimée à 65,8‰ au RGPH-5 de 2023 contre 78,7‰ en 2013. Pour ce qui est de l’éducation des enfants, l’accès à l’eau potable contribue de plusieurs façons au maintien des enfants à l’école. D’abord, les filles passent moins de temps à la recherche du liquide précieux et par ricochet peuvent se concentrer à leur éducation. Ensuite, des enfants en bonne santé sont mieux à même d’apprendre. De plus, sur le long terme, l’autonomisation des femmes évoquée à la question précédente contribue au maintien des enfants à l’école car force est de constaté que le maintien ou l’abandon scolaire des enfants sont fortement corrélés à l’autonomisation de la mère.
Par Oumar Ba (weerbijournal@gmail.com)/(barouba90@gmail.com )