Conseiller technique à la Direction de l’Environnement et des Etablissements classés (DEEC) du ministère de l’environnement et de la transition écologique, Pathé DIEYE a accordé une interview à la rédaction de Weer Bi. L’expert international en Réhabilitation et en fermeture des mines invite les tous les Etats membres de l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal à prendre le même décret que le Sénégal pour mettre fin aux activités minières le long de la Falémé et avoir l’effet escompté.

Les nouvelles autorités du Sénégal ont pris, ce mercredi 31 juillet, un décret interdisant les opérations minières et la délivrance de titres miniers autour de la Falémé jusqu’au 30 juin 2027. Cette décision qui concerne un rayon de 500 mètres a été bien accueillie par les acteurs de la société civile qui luttent pour la protection de l’environnement.

Qu’est ce qui a motivé les autorités du Sénégal à prendre cette initiative ?

Pathé DIEYE : La Falémé est un affluent du fleuve Sénégal extrêmement important pour 12 communes des quatre Etats de l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS), dont le Sénégal, la Guinée, le Mali et la Mauritanie.

Ces cinq dernières années, la recherche effrénée des sédiments aurifères dans le bassin du cours d’eau par dragage du lit mineur par des orpailleurs semi-industriels et des détenteurs de permis aux environs de la Falémé a entrainé une destruction de la plupart des fonctions écologiques, la biodiversité, les activités socioéconomiques telles que le maraichage et la pêche.

La mort programmée du cours d’eau avait entrainé plusieurs plaintes et des manifestations dans les régions de Tambacounda qui, à plusieurs reprises, ont engendré des morts d’hommes. L’Etat du Sénégal, fort conscient de cela a pris la décision ferme d’arrêter cette hémorragie environnementale qui sans aucun doute allait découler sur un conflit très sanglant entre orpailleurs illégaux du cours d’eau et les populations locales dont leurs activités étaient tributaires de la Falémé.

Que révèlent les études sur l’exploitation aurifère au niveau de la Falémé en termes de dangers ?

Les résultats de toutes les études scientifiques sur les quantifications des polluants chimiques ont révélé des dépassements au niveau de tous les paramètres physico-chimiques ; jamais un cours d’eau dans l’histoire du pays n’a été autant pollué. Les valeurs seuils du mercure (normes de l’OMS) ont été dépassées au niveau de certains points de mesure à Colya de plus de 100 fois la norme de l’OMS ; cette tendance a été notée aussi bien au niveau du cyanure qui malgré son caractère volatil a été identifié un peu partout sur le cours d’eau à cause de ce que les orpailleurs appellent « usine de traitement d’or » installée le long de la Falémé et qui rejette leurs résidus dans le cours d’eau.

Les inventaires sur la biodiversité ont également révélé des résultats inquiétants, car toutes les espèces de la grande faune telles que les hippopotames, les crocodiles, les phacochères, les lions entres autres ont disparu du cours d’eau et de son environnement chassé selon les villageois enquêtés par les chercheurs d’or munis de fusils de chasse. Aucune forme de végétation ne peut aujourd’hui se développer sur la Falémé.

Est-ce qu’il y a eu des cas graves sur l’environnement et la santé des populations ?

Plusieurs cas d’intoxications ont été notés sur le cours d’eau dans les villages de Colya, Faranding, Fadougou entre autres dont les résultats sur la turbidité des eaux ont montré des valeurs très négatives ; l’eau y est tellement altérée par la pollution qu’elle ne peut plus servir de boisson aussi bien pour les hommes que pour les animaux.


Une mesure sur une durée de moins de trois ans est-elle suffisante pour lutter contre les effets néfastes de cette exploitation sur l’environnement ?

La décision est à saluer, car elle n’était pas attendue à cause du grand pouvoir d’influence des exploitants aurifères ; toutefois, après l’évaluation des impacts de l’interdiction, l’Etat pourra élaborer des textes juridiques qui vont définir les règles communes de gestion du cours d’eau et qui intégreront des zones de non-exploitation aurifère cartographiées et également intégré dans le cadastre minier. C’est une décision historique du Sénégal que les autres Etats de l’OMVS doivent prendre pour régler définitivement le problème de la Falémé.

Malgré cette mesure, les acteurs de l’exploitation artisanale et de grandes industries continuent de faires leurs activités. Qu’est ce qui bloque l’effectivité de cette initiative ?

La mesure vient d’être appliquée et elle est effective ce mois de septembre 2024; une mission des forces de défense et de sécurité s’est rendue sur la Falémé pour s’enquérir de la situation et un délai de quinze a été donné aux exploitants qui empiétaient sur la distance fixée par le décret pour démanteler leurs installations.

Toutefois, l’activité extrêmement corruptogène pourrait entrainer l’apparition des pratiques obscures dans la zone telle que l’exploitation de l’or dans la nuit, la création de réseaux clandestins d’exploitants….

Que risque les acteurs de l’exploitation artisanale et les populations avec la suspension des activités sur les emplois, recettes fiscales ?

Les populations pourront reprendre leurs activités socioéconomiques et la biodiversité pourra être restaurée avec l’appui de programmes nationaux et internationaux (ONU-environnement PNUE, OMVS…).

Qu’est-ce qu’il faut pour accompagner les acteurs impactés par cette mesure ?

Ces types d’activité d’orpaillage ont des faibles impacts sur l’économie du pays et la fiscalité minière, car elles créent ce que les experts appellent des enclaves minières ; en Guyane française, c’est une gestion militaire de ces sites qui a été mise en place, car la situation avait été tellement laissée se détériorer que l’Etat n’avait plus la main mise sur ce sous-secteur ; c’est ce scénario que le Sénégal vient d’éviter de très peu en prenant cette mesure de gestion de la Falémé qui demande énormément de mesures d’accompagnement en matière de projets de restauration de la biodiversité, d’ouverture des corridors de migration de la faune, d’ensemencement piscicole, de maraichage, d’entrepreneuriat local.
La Falémé pourrait abriter beaucoup de projets multisectoriels qui ne compromettraient pas l’intégrité du cours d’eau.

Combien d’entreprises et de personnes seront impactées par cette mesure ?

La population impactée n’est pas connue. Par ailleurs, aucune entreprise n’est réellement impactée par la mesure d’interdiction, car elles utilisaient leurs permis délivrés dans le respect de la distance réglementaire des 500 mètres du code de l’environnement pour aller empiéter sur la Falémé ; en effet, cette mesure existait déjà dans le code de l’environnement, car aucune installation industrielle ne doit être installée à moins de 500 mètres des habitations et des cours d’eau.

La pollution de la Falémé par son dragage n’est qu’une forme de non-respect des lois et règlements des états ; par conséquent, l’Etat doit faire preuve de beaucoup de vigilance et sensibiliser les trois autres pays membres de l’OMVS pour la duplication de la mesure pour éviter une migration des orpailleurs dans leurs rives.

Par Oumar BA (weerbijournal@gmail.com)

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