Originaire de Bababé en Mauritanie, un village situé à trois kilomètres du Sénégal, Aly Ba est un ancien étudiant à l’université de Nouakchott. Vivant en France depuis plus de dix ans, Monsieur Ba salue et encourage les initiatives des migrants de retour. Il les invite à faire davantage preuve de patience pour réussir leurs projets en Afrique. Au cours de son voyage, Monsieur Ba a eu à visiter plusieurs pays dont la Belgique, les Pays-Bas et les Etats Unis d’Amérique. Ce qui lui offre une large visibilité pour analyser l’émigration à l’ère de la montée en puissance de l’extrême droite en Europe et en Amérique.

Quelle analyse faites-vous de l’émigration avec la montée en puissance de l’extrême droite en Europe et aux USA ?

Actuellement, en Europe et en Amérique, la situation est devenue un peu compliquée pour nous, Africains ou Asiatiques, qui vivons en Europe. Parce que l’immigration est devenue le discours le plus écouté, le plus consommé. Elle est devenue un fonds de commerce pour les politiciens. C’est pour faire allusion à l’extrême droite en France avec Marine Le Pen, en Belgique avec la N-VA de Bart de Wever, aux Etats-Unis avec Donald Trump.

Les politiciens utilisent le discours sur les immigrés et l’immigration pour attirer les électeurs. Les temps sont devenus un peu compliqués. Les pays changent de loi. Tout ce qui était facile, tout ce qui était simple est devenu un peu plus difficile pour les gens, les Africains particulièrement qui vivent en Europe. Cependant, les gens essayent quand même de faire avec, de contourner un peu certains règlements ou certaines règles pour tirer leur épingle du jeu.

Qu’est-ce qui explique aujourd’hui l’augmentation de l’émigration clandestine en Afrique ?

Les africains ont vécu beaucoup de choses, la colonisation, l’esclavage. Aujourd’hui encore, ils sont confrontés à la mauvaise gouvernance. Les dirigeants ne font pas d’efforts pour aider la population pour mettre en place des initiatives pour le développement socio-économique de leurs pays. Les dirigeants détournent pour s’enrichir et enrichir leurs proches. La situation est compliquée. Au Sénégal, par exemple, on a noté une forte croissance de la population qui a atteint la barre des 17 millions de personnes.

L’économie n’encourage pas la jeunesse à rester au pays. Même si le pays est réputé démocratique et libre, les populations ont envie d’aller chercher de meilleures conditions économiques ailleurs. Si on n’a pas de métier, on ne peut pas s’en sortir. On voit des jeunes qui ont des diplômes de master qui trainent et qui ne trouvent pas d’emplois. C’est pourquoi ils prennent des pirogues pour aller en Europe. En Mauritanie, même si la situation économique est favorable, la situation politique pousse les négro-mauritaniens et les francophones à l’exile. Les arabophones gagnent tous les postes.

Au Sénégal, le Premier Ministre, lors de sa Déclaration de politique générale, a annoncé des mesures pour le principe de la réciprocité des visas au Sénégal. Que vous inspire cette déclaration ?

Arrivés au pouvoir, le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, et son mentor Bassirou Diomaye Diakhar Faye veulent changer de politique parce qu’ils ont écouté, par exemple, certains discours des extrémistes qui soutiennent la réciprocité des visas. Mais les situations ne sont pas pareilles. Parce que le Sénégal ne peut pas imposer des visas aux Européens. Techniquement, c’est possible, mais pratiquement, ce n’est pas bénéfique. L’ancien président avait essayé mais il n’a pas réussi. Parce que le Sénégal a besoin, par exemple, du tourisme occidental pour améliorer la richesse du pays. Quand on parle du tourisme occidental, on parle aussi des Mauritaniens qui sont naturalisés français, des Guinéens qui sont naturalisés belges, qui reviennent en Afrique.

Au Sénégal, ces étrangers dépensent. Ils prennent des taxis pour faire des courses, louent des appartements pour leurs séjours et font des achats de biens et services. Donc, ils participent au fonctionnement de l’économie nationale. Si on décide de restreindre la libre circulation des personnes, en demandant des visas, ça peut décourager certaines personnes. Ce n’est pas parce qu’elles ne veulent pas introduire des demandes de visas mais la situation administrative peut compliquer les démarches. Quelqu’un qui a juste un mois de vacances aura beaucoup de difficultés pour réserver un billet d’avion, un hôtel et d’autres services nécessaires d’autant plus que les ambassades africaines, techniquement, ne sont pas trop en avance par rapport aux ambassades européennes.

Pour éviter les tracasseries, les étrangers vont dire qu’au lieu d’aller au Sénégal, ils vont choisir d’autres pays comme le Mali ou le Maroc. Donc la réciprocité des visas n’est pas une très bonne idée. Même si le Premier ministre est souverain, peut faire tout ce qu’il veut et il a la majorité à l’Assemblée nationale, il risque de faire comme le gouvernement de Macky Sall et de revenir en arrière.

Les émigrés ont tendance à revenir pour investir en Afrique. Est-ce que c’est une bonne initiative aujourd’hui ?

Quand tu quittes ton pays, ton premier objectif c’est de réussir et de revenir chez toi. Si tu réussis, tu as envie de revenir chez toi et de développer ton économie, l’économie de ton pays. Malheureusement, quand tu vis 10 ou 15 ans dans un autre pays, culturellement tu évolues ou bien tu changes un peu de mentalité. Si tu reviens, tu n’es pas patient, tu risques de te décourager. Imagine, tu conduisais à Paris, où les gens respectent le règlement, tu reviens pour conduire à Nouakchott, où chacun fait ce qu’il veut, tu risques de te décourager. Avec la corruption en Afrique, tu risques de te battre par exemple avec des policiers.

Du point de vue médical, c’est aussi pareil. Nos structures sanitaires n’offrent pas les mêmes services que les hôpitaux et les médecins qui sont en Europe. Si tu es patient, c’est une bonne idée, tu peux revenir avec ton argent, créer une entreprise, des emplois et développer ton pays. C’est le pays qui bénéficie de ton expertise, de ton expérience.

Pour réussir, il faut beaucoup de patience. La première année, tu vas te dépayser, te décourager. Mais si tu es patient, il y a moyen de réussir en Afrique. Parce qu’il y a beaucoup de jeunes et la population augmente. En Mauritanie aussi, la richesse se crée. Les gens ont besoin de tout. Il y a beaucoup de choses à faire. L’investissement a vraiment sa place en Afrique.

Propos recueilli par Oumar Ba, weerbijournal@gmail.com

By Oumar

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