Chargé de programme à Article 19 Sénégal et Afrique de l’Ouest, Abdoulaye Ndiaye annonce la création prochaine d’un observatoire pour l’accès à l’information destiné à accompagner les citoyens. Le représentant de la société civile au sein du Comité National du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (CN-PGO) précise que des bureaux seront installés à l’intérieur du pays pour collecter des données sur l’accès à l’information, analyser les statistiques et évaluer l’application de la loi.
Quelles sont les principales réalisations du PGO au Sénégal ?
Le Sénégal a élaboré son premier plan d’action national en collaboration avec les organisations de la société civile, au lendemain de son adhésion au Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO) en 2018. Les OSC ont effectué des visites sur le terrain pour rencontrer les communautés et recueillir leurs besoins, permettant à l’État du Sénégal de prendre des engagements concrets pour le PGO.
Le premier Plan d’Action National (PAN), validé en 2021 pour une durée de deux ans, comprenait 12 engagements. Cependant, sur la période 2021-2023, nous n’avons pas obtenu beaucoup de résultats en raison de la situation politique. Les autorités manifestaient de nombreuses réticences à aborder les questions de PGO ou de transparence et n’ont pas accompagné l’exécution du premier PAN.
Après cette période, il a fallu évaluer les premiers engagements et préparer le deuxième PAN 2024-2025, qui comporte huit engagements, notamment le renforcement des pouvoirs de l’OFNAC. Le deuxième engagement concernait le vote de la loi d’accès à l’information, qui a été adopté. Un autre point portait sur la transparence budgétaire, c’est-à-dire l’institutionnalisation du budget participatif au Sénégal. Toutefois, nous ne disposons pas encore d’indicateurs suffisants pour évaluer le bilan du deuxième PAN.
Parmi les autres engagements figurent la dématérialisation des procédures administratives et la construction d’un système d’accueil dans les services publics.
Le Sénégal a déjà obtenu des résultats positifs avec l’exécution du deuxième PAN : l’adoption de la loi d’accès à l’information, le renforcement des pouvoirs de l’Organe de contrôle et de lutte contre la corruption, et la participation inclusive des communautés.
Quelles sont les innovations majeures de la loi d’accès à l’information ?
L’accès à l’information est désormais une exigence légale. Chaque citoyen peut demander aux structures publiques les informations dont il a besoin. Les informations produites par ces structures doivent être communiquées et mises en ligne sur les sites des institutions ou distribuées au public. À défaut, toute personne peut les demander en s’appuyant sur la loi.
Concernant les informations qui doivent être communiquées, l’administration n’a pas le droit de refuser sans motif valable, sous peine de sanctions. L’accès à l’information peut contribuer à lutter contre la désinformation et les biais de l’information. Pour renforcer la transparence, il est essentiel que toutes les actions des administrateurs soient accessibles aux citoyens pour qu’ils puissent les consulter et les vérifier.
Nous devons féliciter le gouvernement du Sénégal et l’Assemblée nationale qui, en moins de deux ans, ont réussi à adopter le projet de loi relatif à l’accès à l’information, alors que les organisations de la société civile et les acteurs de l’information réclamaient cette loi depuis plus de 17 ans. Voilà ce qu’est le gouvernement ouvert au Sénégal !
Comment les collectivités territoriales et l’administration respectent-elles les principes de cette loi ?
L’administration et les collectivités territoriales sont assujetties à la loi d’accès à l’information. Elles font partie des entités que les citoyens peuvent consulter pour obtenir des informations.
L’article 6 du Code des collectivités territoriales avait déjà consacré cette disposition liée à l’accès à l’information.
Il est désormais obligatoire de traiter la demande du citoyen en moins de 15 jours. Si l’administration doit rejeter la demande, elle doit motiver ses raisons de refus. En cas de rejet, le citoyen a la possibilité de saisir la commission d’accès à l’information, qui sera mise en place, pour déposer sa plainte.
Si l’administration ou la collectivité territoriale refuse de communiquer une information qui doit être divulguée, elle s’expose à des sanctions allant de 500 000 à 10 000 000 FCFA. Si l’institution divulgue une information classée secret-défense ou des informations qui ne doivent pas être rendues publiques, elle s’expose également à des sanctions.
En résumé : si une personne demande une information, l’administration doit la fournir. Si elle refuse ou si elle communique une information qui ne devait pas l’être, elle est sanctionnée.
Comment sont définies les exceptions liées au secret-défense et quels sont leurs impacts sur l’accès à l’information ?
La loi prévoit plusieurs motifs de rejet pour les informations qui ne peuvent pas être communiquées. De nombreuses informations ne peuvent être partagées avec les citoyens, ce qui couvre plusieurs cas de figure.
La loi constitue un bon outil, mais de nombreux éléments pourraient être améliorés. Il existe des exceptions, mais elles mériteraient d’être mieux définies. En évoquant le secret-défense, les citoyens doivent savoir ce qui relève de cette catégorie.
Nous considérons que tant que le secret de l’enquête, le secret de délibération judiciaire, le secret de l’instruction judiciaire, et le secret en matière industrielle et commerciale ne sont pas clairement définis et que leur périmètre n’est pas précisé, il peut y avoir de nombreux rejets fondés sur ces exceptions.
La société civile est aujourd’hui interpellée. Elle doit accompagner tous les citoyens, quel que soit leur statut, dans leur quête d’informations et contester ces exceptions. Autrement dit, lorsque les autorités refusent de répondre, nous devons nous assurer que leur décision repose sur une base légale solide.
Nous devons étudier ces exceptions pour déterminer si cette liste facilite ou complique l’accès à l’information. Si nous continuons de surveiller cette question pendant un an, nous pourrons déterminer si ces exceptions tendent à bloquer l’accès à l’information ou à le faciliter. La société civile doit analyser ces questions pour s’inscrire dans une logique constructive.
Comment cette loi s’articulera-t-elle avec les engagements du prochain PAN 2026-2028 ?
Nous sommes actuellement dans une phase de co-création. Nous devons refaire le tour de toutes les régions et de tous les départements pour consulter l’ensemble des acteurs afin d’élaborer le prochain plan d’action. Ce prochain plan ne se limitera pas aux bureaux, mais impliquera d’aller à la rencontre des communautés pour identifier leurs besoins les plus importants.
Aujourd’hui, nous ne pouvons plus avoir un engagement spécifique sur la loi d’accès à l’information car elle a déjà été votée. Nous pourrons la reformuler pour évaluer la participation effective des citoyens dans l’accès à l’information.
L’adoption de la loi d’accès à l’information et la loi sur la protection des lanceurs d’alerte, la déclaration de patrimoine et sur l’OFNAC présente un intérêt majeur. Elle permet au Sénégal d’améliorer sa notation en baisse en deçà du minimum requis sur les critères d’éligibilité comme c’est le cas depuis plus de deux ans. Le maximum étant de 16 sur 16, le minimum de 12 sur 16, et nous étions tombés à 7 sur 16 jusqu’en juillet 2025. Avec le vote de ces lois, nous avons nettement amélioré la note et obtenu 10, soit une amélioration de trois points.
Il faut faire en sorte que les autres engagements capitalisent sur les efforts consentis et soient portés à la connaissance des partenaires, d’autres collectivités territoriales et des institutions internationales.
Pour le prochain PAN, les consultations doivent commencer dès le mois de novembre 2025 pour la période janvier 2026 – décembre 2027. Les résultats renforceront la note du Sénégal dans le cadre du PGO.
Quel est l’impact de cette loi sur la participation citoyenne ?
La participation citoyenne dépend de la compréhension des enjeux. Si le citoyen dispose de l’information, sa participation sera d’une importance capitale. Il aura davantage d’intérêt à participer aux affaires publiques et à donner son avis sur la gestion des collectivités territoriales. C’est l’accès à l’information qui est déterminant : il constitue le moteur du gouvernement ouvert.
Avec cette loi, nous devons observer une amélioration de la qualité des débats publics. Dès lors que le citoyen est informé, il est mieux outillé pour participer à des débats de qualité.
Si nous impliquons le citoyen en lui expliquant quel budget possède sa collectivité, ce que le maire peut faire et quelles sont ses limites, le citoyen sera plus sensible à la manière de poser les questions et aux priorités qu’il convient d’accorder en fonction des ressources disponibles. C’est ce qui favorisera une meilleure confiance et une participation citoyenne renforcée.
Comment la loi d’accès à l’information peut-elle lutter efficacement contre la corruption ?
Il ne suffit pas de voter une loi pour lutter contre la corruption. Le nouvel OFNAC et la déclaration de patrimoine constituent des avancées positives. Avec la dernière stratégie nationale de lutte contre la corruption, nous devons intensifier les efforts. La loi sur la protection des lanceurs d’alerte permet de lutter contre les cas de corruption interne. Ce sont des éléments encourageants.
Le Sénégal, en début d’année 2025, se trouvait dans la zone rouge de l’indice de perception de la corruption. Nous disposons des outils pour intensifier la lutte contre la corruption. Il faut sensibiliser les citoyens sur les actes que nous posons sans même y prêter attention, alors qu’ils peuvent contribuer à l’atteinte des objectifs et à l’amélioration de la situation.
S’il y a une émergence du contrôle citoyen et leur implication dans la dénonciation et la documentation des cas de corruption, aussi minimes soient-ils, je pense que nous pouvons parvenir à lutter efficacement contre la corruption.
Pouvez-vous citer quelques collectivités territoriales qui peuvent être considérées comme des modèles au Sénégal dans le cadre du PGO ?
Il existe des collectivités territoriales qui ont mis en œuvre des PGO locaux. Au-delà du PGO que l’État peut adopter, nous pouvons avoir des PGO locaux. Une collectivité locale peut adhérer aux axes stratégiques du PAN.
La ville de Yoff, qui a déjà adhéré au PGO local, accomplit un excellent travail avec son PAN local. Sur son site internet et ses pages officielles, on trouve des activités de redevabilité entre le maire et les administrés. Les citoyens sont très impliqués dans toutes les actions de la mairie.
La commune de Rufisque Est a mis en place un cadre de concertation au niveau communal. La ville de Pikine dispose aussi d’un cadre de concertation qui permet d’impliquer toutes les couches de la population : les anciens agents et conseillers municipaux, les jeunes, les étudiants et les femmes. Ce sont des exemples qui témoignent de leur engagement pour la transparence, même si elles n’ont pas encore adhéré au PGO local.
Nous souhaitons les accompagner dans la dynamique d’adhésion au PGO local. Cela montre que l’idée de démocratie va au-delà du vote. Ces initiatives peuvent être classées dans le PGO et permettent de montrer un gouvernement plus accessible à tous, car chacun peut participer, donner ses idées et demander des comptes sur la gestion des collectivités locales.
Comment comptez-vous sensibiliser les populations et les administrateurs pour la mise en œuvre de la loi d’accès à l’information ?
Article 19 travaille sur cette question. Nous sommes spécialisés dans les questions liées à l’accès à l’information. C’est à partir du moment où nous avons voté la loi d’accès à l’information que notre travail a véritablement commencé. La phase de plaidoyer pour inciter les autorités à l’adopter était importante, mais aujourd’hui nous attendons le décret d’application pour mener des actions de plaidoyer et analyser ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
La première chose à faire consiste à diffuser la loi d’accès à l’information auprès des communautés, des citoyens qui travaillent dans les institutions et de ceux qui exercent d’autres activités. Nous allons les former pour qu’ils puissent connaître les démarches à suivre pour obtenir les informations.
Nous avons un projet à Article 19 qui consiste à mettre en place un observatoire d’accompagnement des citoyens pour l’accès à l’information. Nous formons les communautés, puis nous installons des bureaux et mettons en place des relais partout au Sénégal pour accompagner les personnes qui ont besoin d’avoir accès à l’information. Ensuite, nous centralisons toutes ces données, ce qui nous permet d’obtenir des statistiques et d’informer les autorités tous les six mois sur les difficultés liées à l’accès à l’information.
La sensibilisation et les formations ne doivent pas se limiter uniquement à la langue française. Puisque nul n’est censé ignorer la loi, les personnes qui ne comprennent pas le français doivent aussi pouvoir l’appréhender dans les langues nationales, qui constituent de meilleurs vecteurs pour la compréhension des lois.
Quels sont vos objectifs et sur quels leviers comptez-vous vous appuyer pour améliorer la note du Sénégal lors de la prochaine évaluation ?
Le Sénégal a actuellement une note de 10 sur 16. Nous voulons atteindre le minimum requis, 12 sur 16 au moins. Ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est de capitaliser sur les bonnes actions et de documenter les réalisations sur la justice de proximité, le budget participatif, la digitalisation des services publics par exemple. Si nous réalisons quelque chose, nous devons être en mesure de présenter les résultats et la manière dont cela a été mis en œuvre en plus de montrer l’impact que cela a eu sur la vie des citoyens. La baisse de nos performances est liée à l’absence d’éléments permettant de les valoriser devant les évaluateurs et les partenaires.
Nous avons réussi à dématérialiser plus de 10 procédures administratives, mais nous sommes incapables de démontrer sur le site si la procédure a été dématérialisée et si le citoyen y a eu accès. Nous avons besoin d’obtenir des rapports d’institutions sur leurs réalisations – par exemple sur la construction de maisons de justice de proximité – mais aussi de disposer d’informations en ligne accessibles à tous. Cela permettrait à celui qui fait l’évaluation de connaître le fonctionnement et la situation en temps réel.
Le retard dans la publication de rapports, par exemple sur l’exécution budgétaire, peut nous valoir une baisse de note. Nous appelons les autorités non seulement à publier les huit documents budgétaires, mais aussi à impliquer les citoyens dans le processus budgétaire et enfin à publier les documents en temps voulu. Si nous réussissons à accomplir cela, nous obtiendrons une note qui dépassera les 12 sur 16.
Propos recueilli par Oumar BA
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